Interview de MotoGP.com : http://www.motogp.com/fr/news/2013/entretien+avec+gilles+bigot+technomag+carxpert
Dans les coulisses des Grands Prix avec Gilles Bigot
vendredi, 1 février 2013
motogp.com continue de vous faire découvrir plusieurs personnalités françaises du paddock MotoGP™, leurs activités et ce qu'ils pensent de la vie sur les Grands Prix.
Gilles Bigot, Né le 26 février 1957 à Cuigy-en-Bray (Oise).
Responsable Technique chez Technomag-CIP Moto2 en 2012 puis Technomag carXpert pour 2013.
Comment es-tu entré dans le monde de la moto et quel a été ton parcours en Grand Prix ?
"Je suis arrivé en Grand Prix en 1985 mais bien sûr, auparavant, comme beaucoup de monde dans le paddock, j'avais fait un petit peu de moto, quelques compétitions, le Championnat de France Promosport, et puis en fin de compte, comme j'étais plutôt pas mal en mécanique, j'ai aidé certains de mes amis. On est passé en Championnat d'Europe, j'ai rencontré des gens et j'ai découvert les Grands Prix en 1985. J'ai réellement commencé à travailler en Grand Prix en 1986, avec Jacky Onda, qui tient aujourd'hui une concession Yamaha à Nice. C'était mon premier pilote en 250cc, sur Yamaha, juste avant la création de l'IRTA, et j'ai ensuite travaillé à temps complet à partir de 1987."
"A l'époque, j'étais mécanicien. En hiver 1988, j'ai reçu un coup de téléphone d'un ami qui me demandait si j'étais prêt à travailler en Espagne avec un pilote espagnol, Carlos Cardús, avec une moto d'usine. Honda avait, à ce moment-là, plusieurs motos d'engagées auprès des importateurs de chaque pays et Carlos Cardús avait été sélectionné pour piloter la moto d'usine. Je n'ai pas eu d'hésitation parce que ça signifiait travailler avec un bon pilote mais aussi avec un matériel qui permettait d'éventuellement gagner des courses."
"Je suis resté avec Carlos jusqu'en 1993, où j'ai rejoint la structure de Sito Pons pour travailler avec Alberto Puig, qui est aujourd'hui aux côtés de Dani Pedrosa, et fin 1993, j'ai eu une offre du HRC (Honda Racing Corporation) pour rejoindre l'équipe officielle avec Álex Crivillé. Mon statut allait changer puisque j'étais auparavant mécanicien et qu'on m'offrait alors un poste de chef-mécanicien aux côtés d'Álex. Evidemment, c'est le genre de choses qu'on ne refuse pas. J'ai donc passé huit années avec Álex Crivillé en 500cc, dans l'équipe du HRC. J'ai eu le plaisir de partager toutes ces années avec Álex, de gagner des Grands Prix et de décrocher le titre de Champion du Monde en 1999, ce qui était un rêve de gosse pour moi. Après le titre, je suis resté deux années de plus et fin 2001, le HRC a voulu réduire son effort en passant de trois à deux pilotes. Álex arrêtait et puis j'ai été contacté par Tech3, que j'ai rejoint en 2002 et jusqu'à 2004."
"En 2002 je m'occupais de Sylvain Guintoli en 500cc. On faisait des essais et puis on a fait une Wild Card à Brno. Je suis ensuite passé responsable technique aux côtés d'Alex Barros en MotoGP, on a fait un podium (2003, au Mans) mais Alex s'est malheureusement blessé deux fois durant la saison et puis en 2004, je me suis occupé du regretté Norick Abe, qui était un pilote avec un gros coeur, quelqu'un de fantastique, humainement parlant, et avec qui j'ai passé de très bons moments."
"Fin 2004, il y a eu un petit moment de flottement en MotoGP, Hervé (Poncharal) avait quelques difficultés au niveau du sponsoring, la structure se dirigeait vers un team à un seul pilote et en même temps, j'ai reçu une offre en 250cc, qui venait d'Alberto Puig, que je connaissais donc assez bien et qui me proposait de rejoindre son équipe en 250cc, pour travailler pour Hiroshi Aoyama, aux côtés de Dani Pedrosa. Je n'ai pas hésité parce que je retrouvais quelque chose que j'avais bien aimé et avec une bonne moto puisque c'était une Honda d'usine."
"Ça a été une année très intéressante et palpitante aux côtés de Dani (qui allait remporter son deuxième titre de Champion du Monde 250cc), même si je ne m'occupais pas directement de lui puisque j'étais avec Hiroshi. C'était très intéressant, j'ai pu connaître un peu mieux Dani et puis on a aussi bien travaillé avec Hiroshi puisqu'il a signé deux pole positions, une victoire au Motegi et d'autres podiums. J'ai continué dans la structure d'Alberto en 2006, avec Sebastián Porto (Argentin), qui arrivait malheureusement après avoir passé beaucoup de temps très éloigné de sa famille. Un petit peu comme Casey Stoner, c'est un jeune qui était arrivé très tôt en Europe et qui, au bout de dix ans, a commencé à ressentir les effets d'une sorte de saturation. Il y a quelque chose qui lui manquait, il avait perdu la motivation et puis à la mi-saison, il a décidé d'arrêter. On a ensuite eu une succession de pilotes, c'était une saison un peu chaotique. En 2007, j'ai travaillé avec Julián Simón, toujours en 250cc, et puis fin 2008, le team 250cc de Repsol a pris une autre orientation et c'est à ce moment-là que j'ai décidé de rejoindre la structure d'Alain Bronec en France."
"Le but était, comme je suis Français, de travailler avec une autre structure française et aux côtés d'un jeune pilote. En 2008 c'était en 125cc, avec Louis Rossi, dans l'équipe de la FFM, puis la Fédération a décidé de se retirer fin 2008. Alain cherchait l'orientation à donner à sa structure et puis, comme j'avais travaillé en 250cc et que j'avais beaucoup de contacts avec le HRC, on a décidé de passer de la 125cc à la 250cc. Alain amenait toute sa structure et moi je me suis occupé des démarches pour trouver un peu de matériel. Puis à Motegi, en 2008, notre regard s'est posé sur Shoya Tomizawa et Alain a décidé de le prendre comme pilote."
"Ça a été le début d'une histoire malheureusement très courte mais d'une histoire fantastique puisque Shoya n'était jamais sorti du Japon. Il est arrivé en Grand Prix en 2009 et c'était un pilote extraordinaire, un personnage à lui tout seul, qui, bien qu'il n'avait jamais quitté le Japon, avait une perception des choses assez intéressante. Il a beaucoup chuté, parce que c'était un pilote téméraire, ce qui fait que son classement final ne reflétait pas son niveau. Et en 2010, lorsqu'il a gagné le premier Grand Prix Moto2 (au Qatar), ça a surpris beaucoup de monde mais nous, on n'était pas surpris parce qu'on savait à quel point il était rapide. La fin de la saison nous a malheureusement apporté beaucoup de peine, avec la disparition de Shoya. Malgré tout, dans le team, on sait tous à quoi s'attendre dans ce sport, bien souvent on l'occulte, mais il fallait en tout cas relever la tête et continuer."
"En 2011, on a continué avec Dominique Aegerter et Kenan Sofuoglu, qui avait été titré Champion du Monde en Supersport. Ça a été une bonne saison pour Dominique, un peu moins pour Kenan, qui espérait faire beaucoup mieux que ce qu'il a fait. Il y a une grosse différence au niveau du matériel technique entre le Supersport et le Moto2 et ça ne lui convenait pas trop. Par contre, c'était un pilote très téméraire, très vaillant, parfois trop, qui allait très vite sous la pluie et qui a fait un podium en se battant avec Márquez à Assen. Puis la saison s'est bien terminée puisque Dominique a fait un podium à Valence."
"On a continué en 2012, avec Dominique et Roberto Rolfo. Il y a eu une séparation avec Roberto, qui ne se retrouvait plus vraiment dans la formule Moto2 d'aujourd'hui. Il avait fait un podium en 2010 mais le Moto2 est devenu très typé, avec un niveau très élevé. La meilleure solution pour lui était de se diriger vers une catégorie qui lui correspondait davantage et on a donc fini la saison avec Tomoyoshi Koyama."
Est-ce que tu peux me décrire précisément ton rôle au sein de l'équipe et ce dont tu t'occupes durant les week-ends de course ?
"Je suis responsable technique pour les deux pilotes, que ce soit au niveau des choix des réglages, de la géométrie. Ce n'est pas très compliqué au niveau des pneumatiques parce qu'on n'a que deux choix de pneus à l'avant comme à l'arrière. Mon rôle, c'est d'apporter des solutions techniques aux problèmes rencontrés par les pilotes et les accompagner, en essayant de résoudre certains problèmes qui peuvent venir du pilotage ou de la position sur la moto. Le Moto2 est devenu une classe d'un très haut niveau, il faut vraiment soigner tous les paramètres et avoir une vue d'ensemble. En MotoGP, la partie technique prend un pas plus important parce qu'on peut trouver dans cette partie technique certaines parades aux problèmes que les pilotes rencontrent, alors qu'en Moto2, il n'y a pas d'aide au niveau des moteurs, il n'y a pas de possibilité d'étager la boîte de vitesses, et il faut donc trouver d'autres solutions. Elles viennent parfois de la façon d'appréhender un virage et il faut guider le pilote et essayer de l'obliger à changer certaines choses dans son pilotage pour tirer meilleur parti de la moto."
Est-ce que ton rôle a beaucoup changé entre l'époque où tu travaillais en 250cc et maintenant avec le Moto2 ?
"Oui et non, parce que j'ai toujours eu un regard sur ce que faisait le pilote. Nous, au niveau des réglages, on dispose de tout un panel d'outils à notre disposition et on peut faire différents réglages au niveau de la moto. Le pilote en lui-même, sur une moto, représente une montagne d'autres réglages que nous n'avons pas la possibilité de changer. En fonction de son poids, de sa taille, des mouvements qu'il fait sur la moto, de la façon dont il va utiliser son corps, de son déhanchement, de ses appuis, le pilote va être en mesure de faire réagir la moto différemment. C'est bien de l'accompagner au niveau technique mais il faut aussi tenir compte du fait que, contrairement à la Formule 1, où le pilote est ficelé, scotché au baquet, nos pilotes ont toute leur liberté sur la selle et on parle donc avec eux pour essayer de comprendre quelles réactions de la moto engendrent leurs mouvements. On a aujourd'hui moins de réglages qu'en 250cc puisqu'il y a un moteur unique, mais au niveau de la partie cycle, les Moto2 sont des prototypes et dans ma démarche personnelle, le changement ne m'a pas trop perturbé. Je trouve que le Moto2 est une catégorie très formatrice pour le pilote, c'est une très bonne école et je pense que l'absence d'aide électronique n'est pas un handicap pour ensuite passer au MotoGP."
Quels sont les souvenirs les plus marquants que tu gardes de ta carrière dans le paddock ?
"Les faits marquants, il y en a plusieurs, ma première victoire en Grand Prix, au Mans, avec Carlos Cardús, il était Espagnol mais on était deux Français dans l'équipe et c'était une sorte de fierté de gagner cette course. Il y a toutes les autres victoires auxquelles j'ai pu participer, en 250cc, en 500cc avec Álex ou la victoire de Shoya. J'apprécie tous les moments que je passe dans le paddock. Le titre d'Alex en 500cc était peut-être un moment plus fort, parce qu'on touchait au sommet, mais après, toutes les victoires ont leur propre saveur. En dehors de ça, je suis quelqu'un qui aime être dans le paddock, j'aime faire partager ma passion et expliquer aux gens comment fonctionne le monde des Grands Prix. Il y a parfois un manque d'information dans les médias, qui ne prennent pas suffisamment de temps pour expliquer quels sont les tenants et les aboutissements."
"Il n'y a pas très longtemps, il y a un site internet qui a émis la possibilité que Marc Márquez trichait et en fin de compte, beaucoup de gens nous demandent comment on peut expliquer les différences entre Marc Márquez et les autres. Et si on s'intéresse à son pilotage et qu'on commence à disséquer son travail, où quand on en discute avec d'autre pilotes, on se rend compte qu'il fait les choses différemment. Avant d'entrer dans les suspicions, on pouvait déjà apporter un certains nombres d'éléments qui expliquent pourquoi il est aussi rapide. C'est dommage que les gens se laissent porter par les rumeurs et je pense qu'on devrait avoir un peu plus de respect pour les pilotes. En 2010, au début du Moto2, Andrea Iannone allait beaucoup plus vite que les autres et il y a eu des suspicions, comme il y en a eu cette année avec Marc Márquez. Avec le temps, on s'est rendu compte que Iannone avait simplement été le plus rapide à s'adapter au Moto2, et que les autres ont ensuite trouvé un niveau similaire et l'ont rattrapé. C'est un peu dommage qu'on commence par avoir des suspicions plutôt que d'essayer de comprendre la performance d'un pilote, et cette année c'était avec Márquez."
"A Assen, Dominique s'est à un moment retrouvé avec Marc en piste et il a failli le percuter au freinage, mais à l'accélération, il s'est rendu compte que Marc allait beaucoup plus vite que lui. Au tour suivant, il a essayé de piloter un peu comme Marc et son premier commentaire en rentrant aux stands a été de nous dire : 'J'ai eu l'impression d'avoir une autre moto !' Je crois donc qu'il faut vraiment essayer comprendre ce qui fait qu'un pilote est plus rapide qu'un autre, il y a le pilotage, mais aussi d'autres facteurs, notamment chez les jeunes, qui peuvent prendre plus de risques parce qu'ils ont un instinct de conservation moins développé. Il y a aussi la gestion de la pression, et l'envie, qui n'est pas la même pour tous."
Pour toi, le plus grand moment sportif de ces dix dernières années ?
"Ce n'est pas facile d'en choisir un. On peut saluer toutes les victoires de Valentino Rossi, qui est un grand champion et qui a fait énormément de bien à l'image de la moto. Après, il y a le titre de Casey Stoner avec Ducati, et la manière dont on a sous-valorisé son exploit. Aujourd'hui, les gens qui l'avaient sous-estimé se rendent compte qu'à l'époque, ils avaient fait une erreur d'appréciation. Les gens ne sont parfois pas assez attentifs. Je conseillerais à certaines personnes, si elles en ont l'opportunité, de faire du bord de piste, parce que c'est là où on prend tout en pleine figure, où on se rend compte des efforts des pilotes et de la vitesse. Il faut du temps avant d'apprécier tout ça mais être au bord de la piste permet d'apprécier les choses différemment. A l'époque, j'étais intrigué de voir que Stoner était le seul pilote de Ducati qui gagnait et je suis allé faire du bord de piste pour suivre les pilotes de Ducati. La première impression que j'ai eue, c'était que Casey avait une moto un petit peu différente des autres et puis, en regardant bien, en faisant attention aux distances de freinage, aux moments où il ouvrait les gaz, je me suis rendu compte que sa moto n'était pas différente des autres mais que l'usage qu'il en faisait était vraiment différent des autres. A l'époque, les gens n'ont pas donné assez de crédit à Casey Stoner. Aujourd'hui, il est parti, c'est dommage parce que ça va créer un vide au niveau de la concurrence en MotoGP mais il y a en même temps d'autres pilotes qui arrivent, comme Iannone ou Márquez."
Le pilote français qui t'a le plus fait vibrer cette année ?
"Louis Rossi au Grand Prix de France, c'était formidable. C'était un peu comme ce qu'on a aussi vécu en Malaisie, avec le podium de Zulfahmi Khairuddin en Moto3 et la course d'Hafizh Syahrin en Moto2. La vibration de la foule a fait que c'était un moment fantastique, le genre de moments qu'on a envie de vivre, un moment de passion pure. Ce que nous a fait vivre Louis au GP de France, c'était génial. Alexis a aussi eu une bonne année avant sa blessure. En Moto2, Johann Zarco a montré un très bon niveau et en MotoGP, Randy n'a malheureusement pas une moto qui lui permette de se battre devant."
"Je pense que Louis a comblé les gens et a mis son empreinte dans l'histoire de la moto française. C'est le genre d'évènements qui fait beaucoup de bien à la moto en France, où on n'est pas très bien servis par les médias, et qui pourraient peut-être nous permettre de faire revenir la moto sur une chaîne publique, ce qui serait extraordinaire. Le public français reste un public de passionnés et quand on voit l'ampleur de la moto en Espagne ou en Italie, on ne peut qu'être admiratifs. Ça explique aussi pourquoi la présence des pilotes français en MotoGP est compliquée. La crise fait qu'il est difficile de trouver des sponsors mais en même temps, le fait qu'on ait très peu de visibilité est aussi dommage."