FSBK Moto3 : Une histoire de familles... et de stickers!
Les papas furent pilotes et, bon sang ne saurait mentir, les enfants sont pilotes.
Leurs parcours un peu hiératiques (championnat de France, Italie, Espagne, GP) se sont croisés et recroisés jusqu'à aboutir à ce week-end de Magny Cours pour la cinquième manche du championnat de France.
Dès le vendredi, lors des essais libres, le clan Boulom composé de
Denis Boulom (2ème de la Coupe Kawasaki 1975, derrière Eric Saul et devant Christian Sarron) et
Enzo Boulom, classe 1997, fait grise mine; impossible d'accrocher cette satanée Suter-Honda rouge et noire numéro 93 qui caracole en tête du championnat français!
Oh, il ne manque pas grand-chose, à peine une demie-seconde, mais la petite Moto3 Honda stock d'Enzo souffre d'un léger déficit de puissance dans les très longues lignes droites du circuit nivernais. A priori, surtout ici, c'est imparable.
Pourtant, l'adolescent ne s'avoue pas vaincu. Son esprit ressasse sans cesse tout ce qui pourrait permettre de gagner ces cinq dixièmes de seconde.
Je le rencontre avec la feuille des temps à la main. Après quelques secondes de silence, il me montre la première ligne en me disant:" je me vois là. Je suis sûr que je peux le faire. Mon moteur marche bien (ndlr: il vient d'être refait chez MG Compétition) et si j'arrive à garder l'aspiration en course, je peux le passer dans le dernier tour."
En blaguant, je lui réponds:" si tu veux gagner 5 dixièmes, colle les autocollants du forum sur ta moto. C'est le gain généralement constaté auprès de nombreux utilisateurs satisfaits."
Superstitieux ou pas, Enzo colle deux stickers sur le bas de son carénage avant d'aller écouter les conseils que
Jean-Michel Mattioli prodigue avec ardeur aux participants du challenge de l'avenir.
Et, sous la tente surchauffée de la FFM, il ne ménage pas sa peine, l'ancien pilote de grand prix!
Le "le" auquel Enzo faisait allusion s'appelle
Christophe Arciero, 19 ans, et a la chance de rouler sur une Moto3 destinée aux Grand Prix.
Sur le papier, cela va plus vite, mais si le moteur est effectivement plus puissant, le châssis est un vrai "bout de bois" qu'il faut savoir régler et emmener à un rythme de Grand Prix pour être efficace.
Quand au fameux moteur "stage3", après plusieurs manche du FSBKet un Grand Prix, il arrive en bout de course et devra être refait intégralement avant la prochaine course.
Dans le clan Arciero, donc, on ne vend pas la peau de l'ours d'autant que c'est maintenant
Claude Arciero, champion de France et plusieurs Grand Prix 500cc sur une ROC Yamaha fin 80'-début 90', qui fait la mécanique lui-même, tout seul.
Néanmoins, samedi matin, la pole position est assurée devant un outsider de dernière minute,
Renald Castillon Giovanni, absent la veille pour cause d'examen scolaire.
Enzo est toujours à 5 dixièmes, et sa moto présente maintenant des petites coupures électriques d'autant plus inquiétantes qu'elles ont l'air de s'aggraver...
L'après-midi, lors de la course, pas de miracle: au 11ème tour, le moteur de la blanche Honda #125 se tait définitivement.
Victoire maîtrisée de Christophe devant Rénald.
Frustration dans le clan Boulom.
Le problème est électrique et intermittent, donc difficile à cerner. On vérifie tout mais on ne trouve rien et on change quelques capteurs (grâce au CIP puisque Enzo participe au Challenge de l'Avenir) sans être certain du tout d'avoir éliminé la panne.
Pour détendre un peu l'atmosphère, je lui fais remarquer qu'il a partiellement recouvert les autocollants du forum par ceux d'un de ses partenaire:" pas étonnant que tu ais des problèmes!"
Enzo, sachant faire la part des choses, rentre dans mon jeu et me répond en souriant:" oui, c'est vrai. Tu peux m'en donner d'autres?"
J'obtempère avec plaisir.
Un peu plus tard, au hasard de mes pérégrinations dans le paddock, je rencontre à nouveau Christophe Arciero.
Evidemment, le ton est plus enjoué et si Claude est en train de refaire l'embrayage avec soin, je plaisante avec Christophe:" attention, Enzo a collé les autocollants sur sa moto! Tu sais ce que ça signifie, + 5 dixièmes! Demain, la lutte risque d'être chaude!
- Ok, j'en colle tout de suite!"
Rires.
Aucune superstition chez Christophe, juste une volonté de me faire plaisir. Le carénage en carbone est nettoyé méticuleusement et les stickers posés avec application, comme tout ce que fait christophe.
Dimanche matin, le problème électrique d'Enzo n'est pas résolu et on commence à s'inquiéter sérieusement pour la course:" on va démonter l'acquisition de données. Pas sûr du tout que ce soit ça, mais je ne vois rien d'autre. C'est notre dernière chance!"
La détermination d'Enzo me fascine; il la veut cette victoire et il sait qu'il peut l'avoir.
L'après-midi, miracle, la moto fonctionne correctement.
Sur la piste, pas besoin d'être spécialiste pour constater qu'Enzo est remonté comme un diable.
Il donne tout ce qu'il a, se contracte au maximum derrière sa bulle dans la longue remontée vers le château d'eau, retarde ses freinages, ré-accélère un millième de seconde plus tôt que d’habitude et ça marche; il réussit à s'accrocher aux deux leaders! Mieux, il parvient même à prendre la tête de la course!
Evidemment ces derniers ne l'entendent pas de cette façon et la lutte est acharnée, nous offrant de nombreux changements de leader; tour 1 Enzo, tour 2 Christophe, tour 7 Enzo, tour 9 Christophe, tour 11 Enzo...
Et on arrive au dernier tour, à l'approche du dernier virage, celui du lycée, vicieux, en descente, et si proche de la ligne d'arrivée...
Déboulant d'Adélaïde, la Suter de Christophe a pris deux longueurs d'avance et la course semble donc jouée.
Freinage appuyé en descente, comme à chaque tour.
Normal.
Mais non! Dans une action qui semble suicidaire, la Honda d'Enzo ne semble plus avoir de freins!
Puis elle se tortille et semble s'écraser sur sa roue avant alors qu'Enzo parvient à la hauteur de Christophe qui est peut-être handicapé dans cette phase du circuit par la sur-élévation de sa Suter.
C'est sûr, ça ne passera pas... ça ne passera pas...
Ça passe!
On ne sait pas comment, mais ça passe.
C'est même tellement étonnant que Christophe sera déstabilisé au point d'également laisser passer Renald avant la chicane, puis de manquer tomber d'énervement une fois la ligne franchie.
Dans le clan Boulom, on exulte.
Pour le fils, c'est de la joie à l'état pure, gaie et riante, le fruit enfin récolté après tant de frustrations.
Pour le père, on est largement dans le domaine de l'émotion et à deux doigts des larmes, côte à côte avec Claude Arciero qui en a vu d'autres et sait relativiser ainsi qu'applaudir le vainqueur du jour.
Respect!
Evidemment, Christophe est extrêmement déçu mais sa place, largement en tête du championnat, n'est pas compromise du tout.
Juste une petite erreur après une victoire la veille. Le style d'erreur que le même les plus grands font parfois, voir Lorenzo avec Marquez à Jerez...
C'est la course.
Au pied du podium, je regarde les petites motos encore craquantes des dilatations thermiques et mes yeux se posent sur la frêle Honda #125 du vainqueur.
Avec stupeur, mais en riant intérieurement, je m'aperçois que son pilote, dans le doute, avait "juste" collé quatre autocollants Pit-Lane.Biz sur son carénage.
Sacré Enzo!