Il fallait vraiment les ressources offertes par une communauté, en l’occurrence celle du forum
pit-lane.biz , pour être au courant de l’évènement ; un tout petit lien sur une journée "portes ouvertes" à la soufflerie de Genève, à l’occasion d’un travail sur la Moto2 Rapid Inside NCS.
Pour rappel, il s’agit de la moto avec laquelle Elio De Angelis et Niccolo Canepa ont débuté la saison 2010 avant de devoir changer de machines pour des raisons économiques propres au Team Scot qui les alignait.
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Elio De Angelis aux essais IRTA à Jerez, début 2010 Comment ? Il y a une soufflerie à Genève ? Personne, dans le monde de la moto, ne semble au courant et il faut dire que leurs derniers travaux pour ce milieu remontent à l’époque des ROC (1992?) construites à Annemasse qui se situe à quelques kilomètres.
Il faut aussi reconnaître qu’elle est assez difficile à trouver, et pour cause…
La soufflerie se trouve cachée dans ce viaduc qui enjambe le Rhône!
Si, si, et elle a une « petite » histoire.
Le viaduc a été conçu pour laisser passer un train dans un tunnel situé au-dessous de la route.
La voie ferrée n'étant plus utilisée depuis bien longtemps, la société Hispano Suiza a récupéré le tunnel avant que, en 1987, le
HESGE (Haute Ecole Spécialisée) de Genève, plus particulièrement l’
HEPIA (Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève) et encore plus particulièrement du
CMEFE (Groupe de compétences en mécaniques des fluides et procédés énergétiques) ne récupère l’endroit pour y loger une partie de ses installations.
La construction de la soufflerie a nécessité une petite dizaine d’années, pour se terminer en 1995, et a été rendue possible par le travail de chômeurs en fin de droits, une disposition particulière à l’office cantonal de l’emploi du Canton de Genève.
Tout a été conçu et réalisé sur place, en tenant compte des impératifs économiques, car si le
CMEFE dépend directement de la Confédération Helvétique, elle inclue également une composante économique qui l’ont poussé à s’ouvrir sur des partenariats avec le monde des entreprises privées.
Aujourd’hui, ces partenariats sont majoritaires et permettent l’emploi d’un personnel plus nombreux.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Crédit photos: CMEFE Durant ces dernières années, le
CMEFE a ainsi participé à des travaux dans des domaines aussi divers que le "KL", kilomètre lancé en ski (avec Philippe May), , le saut à ski (avec Jason Lamy Chappuis), la luge, le vélo (vélo Altaïr2 de l'IUT d'Annecy chronométré à 118 km/h et roues Mavic), le Marathon Shell (
biomobile.ch), "l’homme-volant"
Yves Rossy, l’aéronautique, l’aérospatiale (Thales Alenia Space), l’automobile, le
train, la voile (Charente-Maritime Innovations / Aquarelle.com de Y. Bestaven), ou même les immeubles (un quartier de Genève subissant par exemple d’étranges nuisances liées au vent), intervenant toujours dans leur domaine de compétence : la mécanique des fluides et l’aérodynamique.
La liste des travaux réalisés étant assez longue, je vous invite à vous reporter à ce lien :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]C’est ainsi qu’un nouveau partenariat a été conclu avec Rapid Inside NCS pour le développement aérodynamique de leur Moto2.
Une fois les modalités définies, en partiela société italienne a fait parvenir au CMEFE ses fichiers informatiques.
Il s’en est suivi une étude poussée, à la fois informatique (Le CMEFE dispose aussi de plusieurs serveurs, dont un utilisant 200 processeurs, et des logiciels adéquats,
Fluent de Ansys, par exemple ), mais aussi issue de l'expérience de la petite équipe du professeur Haas, comprenant
Bassem Sudki et Piero Pontelandolfo (un ancien de Ducati Corse), à la fin de laquelle le CMEFE a déterminé plusieurs pièces de formes différentes (carénage "nez de requin", selle, garde-boue) à essayer.
Ces pièces ont été réalisées en Italie, soit de manière classique, soit en prototypage rapide, puis ont été livrées, avec la moto, à Genève à la fin janvier 2011.
Le
CMEFE est maintenant chargé de vérifier de façon pragmatique les suppositions informatiques.
Pour cela, elle dispose d’une soufflerie assez grande pour y disposer la moto et son pilote.
Il faut savoir qu’avant de mesurer quoi que ce soit, il faut compter environ une semaine de travaux préparatoires.
En effet, la moto ne sera pas posée sur le sol mais affleurera seulement celui-ci, solidement fixée par un pied venant s’accrocher sur le carter d’huile, la roue avant étant entraînée par un moteur électrique.
Cet affleurement est rendu obligatoire pour ermettre les micro-mouvements liés aux forces subies.
Cela impose la dépose du collecteur d’échappement de la moto et une découpe rectangulaire dans le bas de carénage.
Le pied repose sur une sorte de balance équipée de dynamomètres qui mesureront les forces dans les trois directions, ainsi que leurs moments, soit six données qui permettront de quantifier précisément les modifications aérodynamiques.
Quand on dit « précisément », c’est une résolution de 10 grammes pour une force de 500 kilos !
Cette balance très sophistiquée est réalisée en interne, comprend donc les différents capteurs, qui sont en fait des jauges mesurant la déformation du métal, et se boulonne sur une structure tubulaire elle-même solidaire d’un énorme bloc de béton encastré dans les fondations.
La grande soufflerie est à flux fermé, l’air étant aspiré dans la veine d’étude (jamais propulsé, à cause des turbulences) avant de faire le tour pour être réintroduit dans la veine principale.
Des panneaux en nid d’abeille en carton ciré sont destinés à éviter la propulsion d’éventuels objets indésirables. C’est le même matériau utilisé pour les carénages et les selles d’Aprilia dans leur sandwich carbone-nid d’abeille-carbone.
La veine principale est construite en panneaux d’aggloméré de forte densité pour éviter tout phénomène de vibrations, voire de résonnance.
Le poste de commande permet d’avoir une vue directe sur la moto, mais aussi de filmer la scène et même de projeter une image afin que le pilote puisse retrouver exactement la même position que précédemment afin de ne pas fausser les résultats.
En attendant que tout ceci soit prêt, le professeur Patrick Haas me présente très gentiment les autres souffleries, car il y en a deux autres !
Si l’une est une plus petite unité qui fonctionne presque sur le même principe que la soufflerie principale (aspiration par ventilateur, soufflerie de type Eiffel), l’autre n’est rien de moins qu’une soufflerie supersonique, et là, il n’est plus question de ventilateur.
En effet, bien que la veine principale soit de bien plus petite section, il serait impossible de faire circuler l’air à une vitesse supersonique avec de simples pales.
On utilise donc un énorme réservoir de 20 m3 pressurisé à 16 bars et chauffé à 100°C comme réserve d’air que l’on détendra dans la veine principale.
Pour info, il faut 10 heures pour remplir le réservoir et une minute quinze secondes, en plusieurs rafales, pour le vider.
En Supersonique, on ne fait pas de mesure : on visualise les ondes de pressions qui, contrairement aux vitesses subsoniques, sont très clairement délimitées.
On peut par exemple avoir une zone à 1 bar séparée d'une zone à 2 bars par seulement une couche de 1 micron.
On peut faire varier la vitesse de l’air dans la veine de mesure en changeant la forme du venturi.
Ici, on utilise principalement trois profils pour atteindre respectivement Mach 1.4, Mach 1.8
et Mach 2.4
Très loin de ces vitesses ; les essais qui auront lieu sur la Moto2 seront donc un savant mélange de simulation informatique, de recueil de données par les capteurs de la balance, mais aussi de savoir-faire par l’utilisation de la perche et des brins de laine.
Là, il s’agit avant tout d’expérience et de réflexion : le comportement des brins de laine est comme un livre ouvert pour celui qui sait les interpréter !
Un frémissement, et c’est une turbulence qu’il faut corriger, un décollement et c’est une dépression qu’il faut corriger…
Le professeur Haas ne croit pas vraiment aux chiffres de CX ou SCX publiés dans la presse.
Il les juge trop basses:"C'est une écope, une moto; il faut dissiper énormément de chaleur."
Loin de se limiter à la forme de la carrosserie de la Rapid Inside NCS, il existe d’autres applications sur lesquelles le peut utilement apporter son savoir-faire ; les fameuses entrées d’air et le monumental radiateur destiné à évacuer les calories générées par le véritable bouilleur que constitue le moteur Honda préparé par Geo Technology, située à l'autre bout du lac Léman, deux points capitaux dans cette récente catégorie du championnat du monde.
Rappelons que la Rapid Inside NCS n’a pas été conçue avec une prise d’air frontale, contrairement à la plupart de ses concurrentes.
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La Rapid Inside NCS lors de sa présentation à Valence, en novembre 2009 Ce n’est qu’au Grand Prix de France que cette prise d’air a été introduite mais comme le cadre ne possédait pas le passage d’air autour de la colonne de direction, on s’est contenté de le «percer » de chaque côté pour y laisser passer les deux grosses durites.
Ce n’est pas tant la forme de l’entrée d’air, ou cette solution un peu artisanale, qui laissent le professeur Patrick Haas légèrement dubitatif, mais plutôt le fait que l’on passe d’un rectangle à un cercle de façon « un peu trop rapide à son goût ».
Quand on vous dit que l’expérience est une des caractéristiques de la petite équipe du
CMEFE qui s’occupe de la mécanique des fluides à Genève!
Une autre de ses caractéristiques est la passion qui les anime, qui s’est traduite par un accueil extrêmement chaleureux lors de cette journée "portes ouvertes" ; qu’ils en soient très sincèrement remerciés !