Quelques précisions pour compléter les informations d'Alain Chevallier, qui a bien vu la différence entre les deux phénomènes.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Le chattering est une vibration des roues sur les pneus, en opposition de phase (c.-à-d. que le pneu avant se détend au moment où le pneu arrière s'écrase, et inversement). On le voit bien sur l'analyse en fréquence de l'enregistrement ci dessus (pour t = 54 s) : quand la moto est sur l'angle maxi, entre la fin du freinage et la remise des gaz, on observe une résonance à 17 Hz (dans cet exemple) avec un déphasage de –Pi.
Remarque : ce que montre cet enregistrement, c'est l'amplitude du mouvement de la suspension. L'amplitude du mouvement de la jante par rapport au sol (c.-à-d. l'amplitude des variations d'écrasement du pneu) est différente. Et elle peut être considérablement plus importante.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Analyse en fréquence : chattering
Le pompage qu'on observe à la sortie du virage précédent (aux environs de t = 48 s) est quelque chose de très différent : grande amplitude de la suspension arrière (pas trop méchante sur cet exemple) pour une fréquence d'environ 2,8 Hz.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Analyse en fréquence : pompage
La cause en est également très différente : il s'agit d'un couplage entre la suspension et la transmission ("l'
effet de chaîne") lorsque le pneu est à la limite d'adhérence et que, en conséquence,
la force qui agit sur la suspension dépend de la force d'appui (fluctuante) du pneu sur le sol.
Il en résulte un rapprochement des fréquences de pilonnement (mouvement vertical) et de tangage, accompagné d'une diminution de l'amortissement effectif
qui peut même devenir négatif lorsque ces fréquences se rejoignent.
(Pour les spécialistes, ce rapprochement des fréquences propres est un phénomène rarissime en mécanique ; le seul exemple que je connaissais auparavant étant le flutter des ailes d'avion :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Pour en revenir au chattering, il possède une propriété caractéristique qui le rend particulièrement pénible : il est extrêmement difficile de s'en débarrasser. Si on augmente ou si on diminue le réglage d'amortissement de la fourche ou / et de la suspension arrière, on observe bien une différence au niveau des enregistrements, mais le pilote n'en continue pas moins de se plaindre.
La raison ? C'est l'incapacité des amortisseurs de la moto, qu'ils soient réglés "faibles" ou "forts", à amortir correctement les masses non suspendues lorsque les mouvements de celles-ci sont
en opposition de phase (le terme "amortisseur" est utilisé ici au sens large pour désigner aussi bien l'amortisseur hydraulique arrière que l'amortisseur hydraulique intégré dans la fourche avant).
Quand les mouvements des masses non suspendues sont en phase (c.-à-d. quand les deux pneus s'écrasent et se détendent en même temps), il n'y a pas de problème : les amortisseurs prennent appui ensemble sur la totalité de la masse suspendue de la moto (y compris la masse du pilote) et sont ainsi en mesure d'opposer une résistance suffisante aux mouvements des masses non suspendues.
Mais quand les mouvements des masses non suspendues avant et arrière sont
en opposition de phase, rien ne va plus : les amortisseurs prennent alors appui sur l'
inertie de tangage de la masse suspendue ; mais, à cause du recentrage des masses autour du centre de gravité, conformément à la mode actuelle, celle-ci se trouve nettement insuffisante pour leur permettre d'être efficaces. C'est encore plus vrai en virage où, du fait de sa position déhanchée et bras repliés, le pilote se trouve largement
découplé en tangage (c.-à-d. que, contrairement à ce qui se passe pour les mouvements verticaux, les petites oscillations en tangage de la moto ne sont pas transmises au pilote).
Le problème c'est que les valeurs courantes d'empattement, de masse non suspendue et de raideur des pneus, s'associent pour faire en sorte que, pour des vitesses courantes en virage, les inégalités du sol excitent les pneus avant et arrière en opposition de phase.Considérons par exemple une moto de 1400 mm d'empattement, avec une fréquence propre des masses non suspendues de 15 Hz, et roulant à 150 km/h.
Imaginons que la roue avant passe sur une petite bosse qui écrase (un peu) le pneu avant. Dès qu'il aura passé la bosse, le pneu va commencer à se détendre et, conséquence de la fréquence propre de 15 Hz, il va passer par une position d'extension maxi 0,0333 seconde plus tard. Or, à cet instant précis, c'est le pneu arrière qui va passer sur cette même bosse et se trouver écrasé : les oscillations des roues avant et arrière sur leur pneu seront alors en opposition de phase.
Et quand on fait le calcul, on s'aperçoit que la situation est encore pire : la courbe montrant le déphasage arrière / avant en fonction de la fréquence présente un palier au voisinage de la valeur Pi. C'est-à-dire qu'on observe une opposition de phase (déphasage voisin de Pi) sur une très large plage de fréquences. Ce qui signifie également qu'on se trouve dans cette situation défavorable sur une large plage de vitesses.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Déphasage arrière / avant des variations d'écrasement du pneu (en jaune) et des mouvements des suspensions (en rouge) en fonction de la fréquence d'excitation.
Pour conclure (provisoirement), disons que : • la cause essentielle du chattering est l'insuffisance de l'inertie en tangage des motos actuelles ; en particulier lorsque, du fait de sa position en virage, l'inertie du pilote ne vient pas compléter celle de la moto.
• les pneus ont une grosse influence à travers leur raideur (différente d'un manufacturier à l'autre mais aujourd'hui tous sont concernés par le problème) et aussi la
façon dont cette raideur varie en fonction de l'angle d'inclinaison.
• je ne cite que pour mémoire les résonances éventuelles du châssis, souvent mises en avant comme explication et qui peuvent effectivement venir aggraver la situation, car ce n'est vraiment pas difficile de calculer sa rigidité pour faire en sorte que ce problème ne se pose pas.
PS : je n'ai pas parlé de l'excitation par le pneu arrière due à l'interaction "frein moteur / pneu / suspension" (une sorte "d'
effet de chaîne" à l'envers). Mais dans ce cas aussi le noeud du problème est l'insuffisance d'inertie en tangage.
PS 2 : désolé d'avoir fait les choses dans le désordre en ayant omis de me présenter. Je vais essayer de le faire d'ici demain.