Joanny cozar avait 83 ans maintenant, mais il restait vaillant. Il s’était levé de très bonne heure ce matin et il chargeait sa camionnette électrique, il la chargeait au deux sens du terme. Il n’avait pas besoin de partir très tôt, mais il ne voulait pas que ses voisin voient autour de quoi s’organisait son trafic. Cela faisait déjà une dizaine d’années que tout les éclairages publics de l’ancien temps avaient été interdits par mesure d’économie. Finalement c’était bien, personne ne pouvait deviner ce qu’il chargeait dans son van.
Il ferma sa petite maison. Au temps de sa splendeur il avait été très riche et avait acheté la splendide villa d’a coté de son logement actuel, mais petit à petit, d’impôts monstrueux en retraites impayés, il avait retrouvé le lot commun et vivait d’expédients , il s’en sortait plutôt bien. En fait il louait sa maison à quatre familles qui occupaient chacune trois pièces, lui il occupait son ancien garage vaguement aménagé. La partie voiture était devenue la pièce à vivre et la partie réservée aux motos… Ca c’était son secret !
Il prit la route et roula deux heures sur des voies défoncées , il parcourut ainsi les soixante kilomètres qui le séparaient de sa destination. Il faisait a peine jour quand il arriva devant le grand portail de fer. La végétation avait envahi le grand mur métallique, mais un observateur avisé pouvait deviner que le portail pouvait encore jouer sur une distance de deux mètres. Armé d’une barre à mine, il se mit en devoir de le faire coulisser. Après demi heure d’efforts, il put avancer son véhicule. Il fallut encore demi heure pour repousser la lourde masse d’acier. Il avança sur le goudron en ruines de la petite montée. Il se força à ne pas regarder sur la gauche les bâtiments délabrés, éventrés, certains même avaient brulé. Il n’alla pas jusqu’au fond, jusqu’au grand circuit car de toutes façons il ne restait plus rien après la grande dévastation écologique. Il tourna à droite vers le circuit de kart, l’ancien paddock/parking était envahi par les ronces mais il put garer sa voiture sans trop de mal et en descendre.
Il déchargea sa moto, sous le soleil maintenant bien chaud elle brillait de l’éclat incongru de sa mécanique d’un autre siècle. C’était une Hker… électrique bien sur. Pas la version course trop difficile à maintenir en état de marche, mais la version entrainement dérivée d’une Yamaha de route. Cette machine s’était avérée sinon performante, au moins simple et très fiable . Il l’avait achetée neuve il y a 50 ans, une lubie comme il pouvait s’en permettre alors. Il ne s’en était pas servi et il l’avait retrouvée avec joie après la triste issue de la guerre du climat.
Pourquoi le circuit de kart du pôle n’était pas trop abimé ? Sûrement parce que pendant toutes les dernières années de sa gloire il n’avait reçu que des machines électriques sur les quelles même les plus intégristes des guerriers de la garde verte avaient pris leur pied. A l’heure de la dévastation ils avaient regardé ailleurs.
Joanny tourna demi heure, puis il remis les batteries à charger. Il avait un groupe électrogène qui fonctionnait au méthanol. C’était ça son secret : il passait pour un excellent jardinier qui entretenait soigneusement le terrain de sa maison et de ses dépendances . En fait il ramassait toutes les branches mortes, tout les résidus de taille de ses arbres fruitiers et après un bon séchage il les distillait dans son garage et il obtenait un carburant liquide, pas terrible pour l’instant , suffisant pour un moteur industriel. Petit à petit la qualité s’améliorait avec les perfectionnements apportés à son installation basée sur un four à charbon de bois développé pour l’équipement d’un village de l’Afrique subsaharienne .
Bientôt il pourrait remettre en route sa vieille Aprilia celle de sa première gloire. Celle du temps ou il venait, ici même, frotter ses genoux sur le bitume sous la houlette de Julien, son mentor. Il l’avait récupérée, elle dormait dans un coin, il avait retrouvé un jeu de pneus en bois ne restait plus que le carburant à fabriquer de façon suffisamment propre. Bien sur il ne pourrait plus compter que sur une vingtaine de chevaux mais quand même quelques frissons en perspective.
Il aurait du être triste, car il avait connu bien mieux, bien plus. Après l’Aprilia qui avait fait de lui un vice champion du monde, il avait couru en moto 2. La troisième saison dans cette catégorie avait été la bonne : champion du monde pour la première fois. Il était monté dans la catégorie reine et avait fait la razzia des titres : douze à la suite. Les douze derniers de l’histoire. Personne n’avait fait mieux et hélas personne ne ferait mieux. Bien sur ce n’était plus de vrais motos de grand prix comme on en avait connu. Le moteur unique, un V4 de 600cc développait 180 cv, il était fourni par Honda bien évidemment. Après l’abandon de tous les autres constructeurs Ducati s’était accroché et fournissait tous les châssis, obligatoirement en tubes d’acier. Il avait régné sur ces ombres d’un passé tumultueux et y avait pris beaucoup de plaisir et un peu d’argent. Il n’était pas nostalgique car il arrivait encore à rouler et c’était ça l’essentiel.
Cela ne durerait plus beaucoup maintenant, sa clavicule cassée trois fois le lui signifiait douloureusement chaque fois qu’il venait ici. Il devrait bientôt se contenter de ses souvenirs. Mais il avait encore une tâche à accomplir. Par principe et par sécurité il fallait que son activité reste absolument secrète. Mais depuis quelques temps il avait remarqué à chacune de ses venues une ombre dans les pins l’ombre d’un jeune garçon qui l’observait. Il pouvait avoir une douzaine d’année. Chaque fois que Joanny venait, il s’enhardissait un peu plus. Aujourd’hui il ne se cachait quasiment plus, il observait du sommet de la butte. Joanny sortit de sa camionnette le superbe BMX qu’il avait préparé pour l’occasion et il le laissa là comme un appat, un BMX avec des roulettes car il faudrait tout apprendre à cette ombre d’un futur incertain. Mais peut être qu’un jour la relève serait assurée.
Cette idée plaisait à Joanny, il sourit.