[Fiction] Ametettai

Ce qui l'intrigua tout d'abord dans cette grosse enveloppe bulle adressée à Mr et Mme Chaignaud, c'était le fait qu'elle portait la flamme bleue blanc rouge de l'état français dans le coin en haut à gauche. D'habitude quand le fisc lui écrivait, les lettres étaient au format normal.
Mme Chaignaud … Elle était partie, il n'avait plus de nouvelles. Elle n'avait pas supporté la dispute avec leur fils unique Alain, et elle le rendait, lui Philippe, responsable de tout. Suite à cette dispute Alain avait disparu et ils n'avaient eu de nouvelles que quand il avait fallu récupérer le corps suite à la bataille de l'Ametettaï. Leur fils était devenu musulman, djihadiste.
Il ouvrit l'enveloppe, elle contenait un passeport et un smartphone. Une lettre aussi, un fonctionnaire de la DCRI expliquait que ces « pièces » avaient étaient retrouvées dans une cache au fond d'une grotte servant de refuge à AQMI. La guerre était finie depuis deux ans maintenant et les services français n'avaient plus de raison de garder ces éléments, ils pensaient que s'agissant de leur fils ils pourraient être intéressés à les conserver.
Le passeport et le téléphone d'Alain ! Avec une énorme émotion Philippe les examina. Le téléphone était déchargé, mais les renseignements avaient poussé l'amabilité jusqu'à lui communiquer les codes qu'ils avaient réussi à casser. Concernant le passeport, il était évident qu'Alain pensait ne plus jamais en avoir besoin. Il avait dessiné au feutre une grosse barbe noire sur sa photo officielle , et le petit carnet ainsi dévalué lui avait alors servi à prendre des notes. Plus précisément il y avait écrit une longue liste de livres avec dans la marge leur prix d'achat : « La vie après la mort en Islam » 3,32€ ; « L'Islam expliqué »7,60€ ; « Histoire de l'Islam » 6,99€... Alain avait toujours aimé lire, et concernant sa nouvelle foi il n'était pas étonnant qu'il ait voulu tout savoir. Mais pourquoi écrire cela sur du papier (et quel papier !) alors que l'on dispose de toute la mémoire d'une merveille de la technique moderne ?
Armé de cette liste Philippe partit à la poursuite de son fils. Il commanda tous les livres de la liste et se mit en devoir de les lire. Seulement il y avait un problème, deux des ouvrages cités semblaient ne pas exister : « L'Islam de A à Z » 19,852€ et « La géométrie de la Kaaba » 1,472€ . Bizarre, d'autant plus que les prix indiqués semblaient fantaisistes...

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Cela lui ferait une occasion de voir sa mère... Il loua une camionnette et partit vers La Souterraine dans la Creuse. Il passa un week-end dans la maison familiale et revint avec son précieux chargement : Presque 30 ans plus tôt, il avait entrepris de se monter une moto pour participer au fameux Paris Alger Dakar alors au sommet de sa popularité. Il avait acheté une Africa twin et l'avait sérieusement modifiée selon les canons de l'époque. Mais les aléas de la vie, en général, son mariage et la naissance de son fils, en particulier, n'avaient pas permis à ce projet d'aboutir. Depuis tout ce temps, la machine était restée dans le garage sous une bâche.
Il reprit le travail à zéro, changea toutes les durits, les pneus, modifia quelque peu l'ensemble et elle roula enfin. Elle avait fière allure, avec son énorme réservoir, les deux réservoirs auxiliaires le long de la selle et le sabot moteur faisant office lui aussi de réservoir mais destiné à recevoir de l'eau.
Il installa aussi un GPS dernier cri.

Paris Alger Dakar... En solitaire, mais sans prendre aucun risque par la route ou disons par le chemin des touristes et des camions. Le temps avait passé et le physique quoique solide ne permettait pas de fantaisies. De toutes façons suite à des années de chaos le désert commençait seulement à se rouvrir au tourisme aventureux et tout n'était pas encore clair. Simplement, au nom du fils et, comme en pèlerinage, au lieu du Maroc et de la Mauritanie il « ferait » l'Algérie et le Mali.
Après Marseille -Alger en ferry c'était tout simple : droit au sud. Ghardaia, Aïn Salah, rejoindre la N6 à Reggane, Bordj Mokhtar, El Khalil mais là il était déjà au Mali et les choses devenaient plus difficiles, plus sauvages.
Il avait jusque là pu faire le plein tous les 250km bien près du maximum de l'autonomie de sa bécane et pourtant il ne roulait pas vite, à l'économie.
Il arriva un soir à Tessalit. Il dormit, fit le plein et repartit très tôt le matin. Ce fut sa seule journée hors piste.
Il voulait vérifier sa théorie du prix des livres manquants : Son GPS le mena sans encombre au point de coordonnées 19.852 et 1.472. un endroit sauvage et désolé sans aucun élément différent du reste du désert qu'il était en train de traverser. Il resta là un moment et allait repartir un peu déçu quand le téléphone de son fils émit un léger tintement. Il tenait le téléphone chargé et l'amenait partout, un peu comme un talisman. Il y avait une application qui tournait en permanence. 5 fois par jour elle tintait aux heures de la prière et indiquait par une flèche la direction de la Mecque en fonction de la position relevée par le GPS embarqué. Il regarda l'écran machinalement et tourna les yeux dans la direction de la flèche.
Il la vit à une cinquantaine de mètres. La pierre noire, toute noire et même un peu brillante. Ce n'était pas la Kaaba, le cube noir de l'Islam mais il n'y avait aucune ambiguïté c'était là que le menait son voyage, c'était cela qu'il cherchait. Il s'avança à pied et se mit à genoux comme pour prier sur une pierre plate qui semblait disposée exprès. En se penchant, il vit fugitivement entre deux cailloux un peu à sa droite un reflet métallique. Frénétiquement il se mit alors à dégager les lourd blocs. Une cantine métallique apparut. Il l'ouvrit à l'aide des outils de sa trousse de dépannage.
Elle était pleine, pleine de billets de 500 €uros bien rangés par paquets de 50. Il ouvrit le petit sac en suédine planqué au milieu, apparemment c'était des diamants pas vraiment très gros mais très nombreux.
Le trésor. Le trésor d'Abou Zeid. Les rançons payés par les gouvernements occidentaux pour les otages. Le nerf de la guerre d'une guerre finie. C'était donc cela « l'Islam de A à Z »: A comme Abou, Z comme Zeid...
Philippe déposa l'énorme réservoir principal de l'Africa Twin. Il était léger car vide. Une fois démonté le fond et le dessus en aluminium se séparèrent selon la ligne ou ils auraient du être soudés. Philippe maintint le dessus à l'envers et le bourra de billets sans oublier de caler le petit sac au milieu. Il repositionna le fond et remonta le simili réservoir sur la machine. C'est pour cela que malgré sa faible vitesse son autonomie était très faible : il n'utilisait que les réservoirs auxiliaires.
On a les références qu'on peut, celles de Philippe venaient tout droit d'Easy Riders. Il prit le temps de refermer la cantine, de la remettre à sa place et remit tant bien que mal les blocs en place. Si un nouveau pèlerin venait, il lui faudrait gagner les miettes de ce repas somptueux.
Il revint dormir à Tessalit et refit le plein. Le lendemain il repartit pour de bon. Ce fut très difficile jusqu'à Gao, le ravitaillement restait très aléatoire et son autonomie vraiment très juste. Ensuite il put foncer vers Bamako. Après le désert rejoindre Dakar par Kayes, Tombacounda et Kaolak ressemblait à une formalité. Un bateau le ramena en France.

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Il semble qu'il soit très difficile d'hériter de son fils. Jamais Philippe ne sut que faire de sa fortune qui ne réparait rien, n'éteignait pas le feu du remord et de la culpabilité. Il continua sa vie cahin-caha, trainant son âme cabossée dans tous les coins de l'hexagone. Un jour pendant une journée de roulage sur le circuit du Pôle Mécanique d'Alès, il repéra un jeune homme d'une vingtaine d'années qui se faisait plaisir au guidon d'une antique Yamaha 350cc. Il n'avait qu'une 205 pourrie pour tirer une remorque mal adaptée. Il était seul. Pendant que le jeune roulait Philippe remplaça la boite en carton des bottes dans le coffre laissé ouvert en toute inconscience par une autre boite en carton pleine de ce qu'Alain lui avait laissé. Il partit ensuite discrètement....

La suite ? Quelle suite ?

là jmd tu me troues, d'autant que je viens de lire les deux livres de barouk salamé "le testament syriaque" et "arabian thriller" - si tu ne les connais pas, précipite toi, ils sont en rivages noirs ... (je mets un rajout ) bravo et encore bravo !

Zut!
Encore une fiction dont on se délecte par avance et j'ai un train à prendre...
Ce sera pour ce soir.

Toujours étonnant, toujours passionnant.
Merci et Bravo, jmd.

On lit.
On se laisse mener avec plaisir dans une histoire, dans un autre monde, en attendant paradoxalement la suite et la fin tout en n'étant pas pressé qu'elles arrivent...
Mais, une fois la lecture terminée, je me pose toujours la même question; comment cela arrive-t-il dans ta tête?

Je ne sais pas d'où sort cette histoire. De ton esprit scientifique, JMD ? Alors, il n'est pas que scientifique, loin s'en faut.
Dans tous les cas, ça me plait.

De l'actualité, un peu de moto, beaucoup de poésie et d'imagination

On se laisse embarquer! Et hop une petit voyage dans le temps qui permet d'oublier les tracas journalier.

Merci pour vos encouragements !

Et maintenant parce qu'ils ont été sollicités, les mots en trop, ceux de l'impudeur des explications.

Comment en arrive t-on à une "histoire" ? Pour moi dans le profond ennui d'un Dimanche après-midi, cela me prends comme une envie de pisser...
Ceci n'est pas juste une pirouette, c'est aussi une vraie explication : le fruit d'une maturation intérieure inconsciente mais qui a un moment donné a besoin d'un exutoire. Si j'avais une moto en état de rouler, j'aurais aussi bien pu la prendre et mettre la poignée dans le coin au hasard des virages.

En ce qui concerne le désert, je n'y suis jamais allé, mais à 12 ans, j'avais "décalqué" et accroché dans ma chambre une immense carte de l'Afrique, j'étais alors fasciné par les récits de ces scouts qui se lançaient A PIED dans la traversée du Hoggar, du Tibesti ou du Tanezrouft. C'était bien avant Séguéla et sa 2CV. Pour ne rien manquer, je voulais alors faire Ceuta-Le Cap.
Je n'y suis jamais allé, mais maintenant il y a Google Earth qui permet de contempler cette arène que le créateur à donné comme lieu privilégié pour la folie des hommes. Le chaos comme cadre au chaos, et ce dans la plus totale démesure.
Je n'y suis jamais allé, mais maintenant je construit des motos, le rêve de mes 12 ans peut continuer.

Ce qui nous mène tout doucement à considérer une éventuelle contradiction entre un esprit scientifique (pieds ancrés dans la dure réalité de la physique... pour ne citer personne) et l'expression d'un imaginaire, d'une pensée. Il y a longtemps que l'on sait que, paradoxalement, tout cela va très bien ensemble. Il y a de grands précédents, personnellement j'en retiens deux : Blaise Pascal et Boris Vian. Je ne me prends pour aucun des deux, non, je suis beaucoup plus fier : je me prends pour moi (odieux plagiat de Jacques Brel chantant Les Bourgeois).