Comme d'habitude, toute précision, correction, ou document, seront les bienvenus! Novembre 1977: Honda annonce son retour dans la catégorie reine des 500cc GP, après douze ans d’interruption!
Quelques jours après, Koichi Yanase est nommé à la tête du Motorcycle Racing Department.
Il est chargé de diriger le projet avec trois objectifs:
[1] Créer une technologie innovante pour la compétition..
[2] Découvrir de jeunes ingénieurs talentueux qui aideraient au développement de Honda.
[3] Remporter le titre mondial d'ici trois ans.
En janvier 1978, Yanase recrute Takeo Fukui (alors ingénieur en chef de la recherche au Wako R&D Center).
Ce dernier commence l'étude du moteur avec Shoichiro Irimajiri tandis que Yanase se concentre sur l'embauche d'environ 70 personnes pour mener le proje à bien (on atteindra une centaine de personnes par la suite).
Shoichiro Irimajiri est un ingénieur aéronautique qui a intégré Honda en 1963. Pour rappel, il a déjà un long passé en compétition, avec les titre mondiaux 1965 en 50 cc, 2 cylindres, 8 soupapes de Ralph Bryans, en 125 cc, 5 cylindres, 20 soupapes de Luigi Taveri, et en 250cc, 6 cylindres, 24 soupapes de Mike Hailwood ), 1966 et 1967 toujours avec Mike Hailwood en 250 cc.
Excusez du peu!
Un nouveau département est créé et intitulé « NR », pour New Racing, au centre de recherche d’Asaka.
Shoichiro Irimajiri manage, entre autre, trois ingénieurs beaucoup trop jeunes pour avoir connu les expériences passées de Honda en compétition, ni d’ailleurs la moindre compétition.
Parmi ceux-ci, Toshimitsu Yoshimura, qui travaille pour l’entreprise nippone depuis seulement six ans, s'exprime aujourd'hui : « nous n’étions pas excités par la compétition, mais par la volonté de créer quelque chose qui représenterait la meilleure technologie.
Nous voulions créer un moteur qui surprendrait le monde entier. Nous pensions qu’en créant le moteur le plus sophistiqué, nous serions victorieux. »
A l’époque, les 4-temps victorieux MV Agusta ont rendu la main depuis deux ans et les podiums sont trustés par les 2-temps Suzuki et Yamaha développant environ 120 chevaux.
Bien que cela ne soit pas un facteur suffisant pour vaincre, l’objectif premier de Honda est donc de dépasser cette puissance.
Yoshimura est un fervent défenseur du 4-temps:”quand j’y réfléchis, nos idées étaient un peu folles, que ce soit pour le moteur ou pour le reste. Nous voulions créer la différence qui nous apporterait un avantage définitif et nous sommes passés au 4-temps. Au moins, nous avons fait quelque chose qui était en-dehors des pensées conventionnelles”.
On peut également constater qu’il s’agit là d’un retour aux sources et à une culture d’entreprise propre à satisfaire Soichiro Honda qui n’a jamais caché son mépris des moteurs 2-temps, allant même jusqu’à les qualifier de « troncs de bambous »…
Une fois la décision d’utiliser un 4-temps prise, l’équipe se met au travail à partir de quelques constations simples : le nombre de cylindres est maintenant limité à quatre et, pour obtenir d’un 4-temps au moins autant de puissance qu’un 2-temps, il faut qu’il tourne deux fois plus vite que ce dernier !
L’idée extraordinaire jaillit donc de créer des pistons appelés « ovales ».
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Pistons à 2 segments Cela permet de contourner en partie le problème de la limitation du nombre de cylindres tout en offrant théoriquement un meilleur rapport surface du piston/frottements des segments que deux cylindres séparés.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Piston à 3 segments Yoshimura:”comme nous étions jeunes, nous n’avions pas d’idées préconçues et nous n’avions peur de rien. Nous étions certains que les pistons ovales seraient la clef du succès contre les 2-temps ; »
Selon les calculs, le moteur doit prendre 23 000 tours/minute et développer 130 chevaux.
Il subsiste bien quelques doutes quand à l’efficacité de l’admission, l’usinage des pistons et des segments, ou le refroidissement d’un tel moteur, aussi décide-t-on d’expérimenter cette nouvelle forme de piston sur un monocylindre.
Dans un premier temps, celui-ci est seulement équipé de deux soupapes.
Comme cela semble fonctionner, on l’équipe progressivement de 4 puis de 8 soupapes tout en constatant déjà certains problèmes importants : en fait, le moteur explose si l’on dépasse les 10 000 t/mn !
Les soupapes ne sont pas en cause et les pistons non-plus.
Il y a principalement un problème de déformation des deux bielles qui équipent le piston et qui laissent échapper l’axe du piston.
Grâce à l’aide ponctuelle apportée par le département Honda Engineering, on en redessine d’autres et on augmente la précision d’usinage.
Les segments sont également un gros souci.
Leur usinage est à la fois extrêmement compliqué et approximatif.
On va même jusqu’à tester des segments en deux parties « clipsables » pour n’en faire qu’un.
Après bien des idées et des essais (pistons à 1, 2, 3 ou 4 segments), et en l’absence de machines à commandes numériques, on usine donc « à la main », et sans relâche, des centaines de segments pour n’en sélectionner que les meilleurs.
Le travail des usineurs est un vrai casse-tête puisqu’ils doivent prendre en compte empiriquement la déformation des fragiles pièces lors de l’usinage pour que leur pression soit constante sur toute leur circonférence une fois insérés dans le cylindre.
Ndlr: notez d'ailleurs qu'aucun segment ne figure sur les photos des différents montages actuels...
En fait, après coup, on peut affirmer qu’il s’agissait du principal problème de faisabilité du moteur.
D'ailleurs, leur usinage imparfait posera toujours des soucis en course; les motos fumeront beaucoup et auront toujours des problèms de démarrage!
Une fois cet écueil franchi et validé sur le monocylindre, on passe à l’étape suivante.
Le projet a maintenant débuté depuis six mois et la petite équipe déménage en plein hiver à Nasu Heights et entame l’étude du passage au quatre cylindres dans un petit hôtel sans chauffage.
Emmitouflé dans des couvertures, les ingénieurs décident finalement de dessiner un moteur avec un V de 100° baptisé "0X".
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Bien qu'annoncé comme les pistons du NR 500 sur le site Honda officiel, je pense qu'il s'agit plutôt d'un modèle ultérieur, 2X, 3X ou NR750, comme quasiment toutes les photos de pièces internes... [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Idem pour celle-là, rare, comme le prouve la cascade de pignons au centre des cylindres. Quelques mois plus tard, soit en avril 1979, le moteur débute ses essais au banc.
La boîte de vitesse se coince encore, les soupapes se brisent parfois, et surtout, le moteur ne développe encore que 110 chevaux, mais la saison est commencée et la direction commence à s’impatienter…
On décide alors d’engager les motos en course, quitte à poursuivre leur développement en conditions réelles.
Consciente des problèmes encore non-réglés, l’équipe de Yoshimura et de Irimajiri ne s’attend pas à faire des miracles et limite la version course à 100 chevaux à 16 000 t/mn.
Parallèlement, Tadashi Kamiya a fait construire un châssis tout aussi extraordinaire : avec son carénage semi-monocoque en aluminium, ses 3 radiateurs dont 2 latéraux, ses disques fendus, ses jantes embouties, son saute-vent façon F1 et sa fourche inversée avec séparation des ressorts et des amortisseurs, la partie-cycle est exceptionnellement novatrice!
Cette coque est surnommée "coque de crevette" par les Japonais eux-mêmes et est constituée d'une feuille d'aluminium de 1mm pesant 5 kilos au total.
Le moteur s'encastre dedans par l'arrière et est fixé par 18 boulons de 6mm de chaque côté.
Bien que ce ne soit pas encore validé définitivement, les roues sont seulement de 16 pouces, permettant un gain de poids de 4 kilos et un abaissement de 5 cm par rapport aux habituelles roues de 18 pouces.
On finit d’assembler tant bien que mal deux machines et, le 13 juin, elles participent à des essais durant trois jours sur le circuit de Suzuka où, malgré les problèmes , les pilotes Takazumi Katayama et Mick Grant, ainsi que les journalistes, sont dithyrambiques, le Japonais allant même jusqu’à annoncer un peu prématurément:" Je serai champion du Monde en 1980 ! "
Pourtant, les essais sont assez peu satisfaisants ; peu de tours effectués, temps très lents, suspensions déficientes, hésitations pour la marque et la taille des pneus (Dunlop ou Michelin, 18 ou 16 pouces).
On annonce un temps de 4 secondes supérieur à celui d’une Suzuki 500 RG pilotée par un pilote Honda.
L’avenir montera que ce dernier ne devait pas vraiment donner le maximum par peur de déplaire à ses employeurs…
On expédie aussitôt après les motos pour l’Europe où elles sont acheminées jusqu’à Silverstone pour le 11ème Grand Prix de la saison, le 12 août 1979.
En fait, l’idée de Honda est autant de montrer au monde qu’ils sont présents dès cette année que de réellement mettre au point les motos.
Equipées en roues de 16 pouces, les Honda se qualifient difficilement en dernière ligne et leur prestation en course est très décevante: Mick Grant chute au premier virage à ceuse d'une fuite d'huile sur le pneu arrière et sa moto prend feu!
Takazumi Katayama abandonne après quatre tours sur problèmes d'allumage.
C’est le choc pour Honda, qui ne pensait pas subir une telle domination des motos concurrentes.
Pire, au Grand Prix de France, sur le circuit du Mans, le 2 septembre, c’est l’humiliation totale puisque malgré quatre motos disponibles, les deux pilotes ne se qualifient pas !
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Crédit photo: Manfred Mothes Humiliation totale qui se traduit par deux faits totalement incroyables de la part des Japonais ;
une pirouette médiatique assez étonnante de la part des habituellement discrets Nippons (les motos sont alignées en fond de grille de départ, pour le tour de chauffe, au cas où un concurrent abandonnerait) et l’explosion en larmes du pauvre Yoshimura.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Les Honda tentent le coup de bluff en rentrant sur la piste du Mans!
Crédit photo: motorevue.com « Je me sentais misérable, juste misérable. Bien que toutes les autres motos soient des 2-temps, j’avais le secret espoir d’effectuer une bonne prestation. »
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]La moto de Katayama durant les essais du Mans Petite anecdote concernant Le Mans ; le samedi soir, durant 45 minutes, les mécaniciens japonais qui désassemblent et réassemblent les coques en aluminium sont attentivement espionnés par « un gamin » couché sous un des Mercedes rouges et bleus, les yeux grands ouverts, avant de se faire surprendre.
Il s’agissait d’Emmanuel Laurentz, le mécanicien d’Hervé Guilleux qui terminera 4ème en 350cc, exploit passé sous silence par la presse complètement monopolisée par le retour de Honda, au grand dam d’Eric Offenstadt, le concepteur de la moto But!
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Exceptionnel document montrant l'ampleur du team Honda. Origine inconnue.
Les premières participations se soldent donc par un échec mais, si les Japonais prennent conscience que la route vers le succès sera très longue, ils n’abandonnent pas le projet.
Les principaux problèmes concernent évidemment le manque de puissance mais aussi la boîte de vitesses et l’entraînement des arbres à cames.
Peu à peu, les Japonais réduisent tous les problèmes, augmentent le régime moteur et la puissance, mais la moto perd également progressivement tout ce qui faisait l’originalité de sa partie-cycle.
Une partie du rêve s’envole dès les premiers essais durant l'hiver 1980, toujours avec Katayama; plus de fourche séparée, plus de saute-vent, radiateurs latéraux carénés, moteur avec cascades de pignons au milieu des cylindres au lieu du bout de vilebrequin, etc...
Son développement durera jusqu’en 1983 (avec ce moteur "2X" en 1980 puis "3X" en 1982, et malgré l’introduction de la NS500 2-temps en 1982 en GP), sans le carénage monocoque trop peu pratique pour les interventions mécaniques, mais les efforts de Freddy Spencer, Katayama, Luchinelli ou Haslam ne suffiront pas pour faire gagner un Grand Prix à la NR 500, handicapée non seulement par son manque de puissance mais par sa conception même ; ce moteur était en fait un 8 cylindres et pesait 20 kilos de trop, tout en ayant un centre de gravité plus élevé que ses concurrents, à cause de ses lourdes culasses.
Un document très rare dans lequel on voit que le team Honda disposait des modèles 2-temps et 4-temps simultanément, au moins à Spa en 1982!
Merci Mickey! :)
NR 500 2X de 1981 : si elle conserve un moteur à pistons ovales, la partie-cycle est tristement conventionnelle...
Les Britanniques iront même jusqu'à la baptiser "Never Ready 500" mais il n’empêche que la version 1979 de la NR 500 reste à mes yeux un sublime exercice de style technologique.
Merci messieurs Yoshimura et Irimajiri!
A noter que monsieur Irimajiri se fera encore remarquer, à la même époque, en créant la CBX 1000, une sublime moto… avec un moteur trop gros (avant de devenir le premier président du HRC)!
Aujourd'hui, au moins une NR 500 Honda 1979 figure toujours au musée Honda de Suzuka.
L'idée du piston oval a cependant eu une suite, souvent ignorée.
Malheureusement, cette dernière était à l'opposée de la sophistication technologique du service compétition de Honda puisque c'est VW, en 1990, qui l'a utilisée pour un prototype de moteur diesel 2.3 litres, 4 cylindres!
Oublions imédiatement cette fâcheuse tentative, même si cela nous permet de voir les segments...
PS: Skins réalisées par Mickey pour le jeu GP Racer.
http://wxatgp500.co.uk/Wxatfiles/Skyupdates/500/0001013/0001013.htm
http://wxatgp500.co.uk/Wxatfiles/Skyupdates/500/0001048/0001048.htm