La course vue de l'intérieur, par Gabriel Pons, pilote Metiss...
"Me voilà rentré chez moi à Toulouse, une bonne nuit de sommeil après plus de 36h sans dormir. Un terrible goût d'inachevé me pousse à déjà écrire le bilan de cette semaine des 24h du
Mans 2023 avec le Team MetisS.
Nous nous sommes alignés à cette 46e édition animés par un profond désir de revanche après les échecs des éditions 2021 et 2022 lors desquelles nous avions terminé les courses très loin au classement suite à de lourdes chutes, et ce malgré une très bonne vitesse en piste et lors des ravitaillements. Dans cette optique, le courageux Team MetisS a travaillé d'arrache-pied depuis des mois afin de réunir une bonne fois pour toutes une moto et des pilotes performants, ainsi que le budget nécessaire à poursuivre nos ambitions. Sur les plans sportifs et techniques on sait parfaitement que le potentiel est là pour emmener l'incroyable MetisS MS22 dans le Top-10 scratch à l'issue des deux tours d'horloge.
Notre saison a d'ailleurs superbement démarré (si l'on occulte le fiasco des deux jours de winter tests au Vigeant), avec de superbes performances au FSBK du
Mans, lors desquelles nous avons réussi à parfaitement adapter la moto aux pneus Pirelli que nous utilisons cette année. Lancés dans cette bonne dynamique, nous avons réalisé d'excellents essais Pré-
Mans et une semaine précédent la course sans-faute, récompensée par la 18e place scratch des qualifications parmi un plateau de très haut niveau et riche de 55 équipages internationaux. Cela a d'ailleurs été la meilleure place en qualification de l'histoire du Team MetisS aux 24h du
Mans !
Pour la première fois de ma carrière au sein du Team MetisS et grâce à cette semaine exempte de problèmes et autres contre-temps, nous abordons la course en pleine possession de nos moyens. L'équipe a eu tout le temps nécessaire de préparer la moto de course aux petits oignons et nous avons également eu du temps pour préparer notre course du mieux possible en termes de planning et de briefing. Nous validons d'ailleurs la moto de course samedi matin au warm-up avec un très bon feeling général et avec la joie de retrouver un moteur "frais" et donc plus performant que celui que nous utilisions jusque là.
C'est donc baigné d'une REELLE sérénité que j'aborde cette course, avec l'indéfectible sentiment que l'heure de la concrétisation à sonné. Brutal changement d'ambiance lorsque la moto tombe en panne électrique à la sortie des esses bleus alors que je l'emmène sur la grille de départ... J'arrive malgré tout à rallier la grille sur l'élan et Antonin le plus jeune mécanicien de l'équipe me pousse de toutes ses forces jusqu'au stand. Le problème est rapidement décelé et réparé : c'est le coupe-contact (pourtant monté neuf) qui ne fonctionne plus. Nous pouvons heureusement rejoindre notre 18e position sur la grille et prendre le départ sans être pénalisés.
Quinze heures, départ ! Je prend un superbe envol mais Kevin Manfredi sur la Yamaha 777 se satellise sous mes roues, ce qui me fait perdre énormément de terrain. Passé un premier tour un peu anarchique, je prends mon rythme mais suis immédiatement en proie à de gros problèmes de freins, avec une garde au levier qui n'arrête pas de varier. Je décide d'adapter mon rythme en conséquence et d'essayer de rester en piste jusqu'au bout du relais, afin de pouvoir informer l'équipe, puis de pouvoir anticiper et planifier la réparation. J'informe évidemment Camille qui prend mon relais et assurera "l'intérim de la survie" en piste. Le problème sera résolu pendant le 3e relais assuré par Hikari, nous perdons 8 minutes dans l'opération soit 5 tours et sommes donc relégués en fond de classement. Les espoirs de Top-10 se sont déjà envolés... La fautive dans l'histoire était la molette de réglage de garde déportée elle-même (pourtant également montée neuve) dont le serrage insuffisant n'empêchait pas le doigt de rattrapage de garde de tourner lors d'efforts importants au levier. J'ai vraiment cru rêver quand j'ai su ça, comment être plus poissards ?
Ce problème désormais résolu, nous sortons la grosse attaque afin de remonter et pourquoi pas sauver un top-15. Les conditions en piste sont particulièrement difficiles, il fait très froid et il y a beaucoup de vent ce qui entraîne de nombreuses chutes. A la force du poignet nous réintégrons le top-30 en fin d'après-midi. Hélas, mille fois hélas mon équipier Hikari part à la faute à la sortie du chemin aux boeufs dans des circonstances étranges et encore inexpliquées. La moto est suffisamment endommagée pour ne plus être roulante et il est obligé de recourir au camion d'assistance pour ramener la moto au box. Les mécanos réussissent à la réparer très rapidement, mais cette nouvelle désillusion nous a fait perdre 30 minutes : retour en queue de peloton, aux alentours de la 50e place.
La nuit tombe et le froid avec, il fait moins de 5 degrés mais nous continuons d'attaquer à 110%. De mon côté je ne lâche également rien, résolu à montrer s'il était encore nécessaire les capacités de la MetisS MS22 en piste. Il est d'ailleurs d'autant plus rageant de constater notre niveau de performance : en toutes circonstances, nous sommes parmi les 10 plus rapides en piste... Je réalise tout au long de la nuit de très bons chronos, réguliers en 1.39 / 1.40. Point d'orgue entre 2 et 3h du matin, je repars avec pneus et plaquettes neuves dans la roue de Kenny Foray sur la BMW Tecmas #9 et je ne lâcherai pas les basques du futur vainqueur Superstock de la course 30 tours durant, en signant au passage mon meilleur chrono personnel en 1.39'161.
Au guidon, je prend un plaisir fou et la fatigue ne me fait pas (encore) souffrir. La belle MetisS est fidèle à elle-même : incroyable d'efficacité, nous la faisons virevolter avec bonheur au milieu du gratin mondial de l'endurance. Le feedback, la constance et le grip des pneus Pirelli fait merveille, le feeling des trois pilotes est très bon. L'équipe reste 100% mobilisée et nous gratifie de ravitaillements rapides et efficaces. Au lever du jour, la brume envahit le circuit et nous sommes toujours aussi rapides : des tréfonds du classement, nous sommes revenus à la 22e place !
Et encore une fois : "malheureusement"... Une fuite d'huile dont nous n'arrivons pas à déterminer l'origine se déclare aux alentours de 8h du matin. La fuite empire jusqu'à ce que ce ne soit plus raisonnable de continuer à rouler, autant pour nous que pour nos concurrents. Nous rentrons la moto au box afin de démonter ce qu'il faudra pour trouver l'origine de la fuite. Quelques minutes plus tard, le verdict tombe : le carter moteur central inférieur est fendu au niveau de l'alternateur. On tente une réparation à la soudure à froid en vain, et la mort dans l'âme nous signons l'abandon un peu avant 11h du matin...
Mon dégoût est tel que j'en ai les larmes au yeux, et ça c'est une première pour moi. Je reste donc quelques minutes au lit pour digérer un peu avant de descendre au box voir l'équipe (j'en ai d'ailleurs toujours la gorge serrée en rédigeant ces lignes)... quel PUTAIN de dégoût ! Au box, l'équipe est fidèle à sa ligne de conduite : personne n'a arrêté de bosser et le box est déjà en cours de rangement.
Aujourd'hui je me sens démuni. J'ai la conviction que la MetisS MS22 est la meilleure moto privée du plateau vu les performances qu'elle nous permet de faire et j'ai aussi la certitude que l'équipe de ravitaillement est à un excellent niveau. Jusqu'à samedi 15h j'avais l'absolue certitude que cette fois on avait tout bien fait, que le niveau de préparation de la moto et de l'équipe était le meilleur que l'on puisse avoir et malgré tout nous avons une fois de plus souffert de problème de fiabilité inédits auxquels on ne peut pas faire grand chose.
Je ne vois que difficilement ce qui pourrait être fait de plus à l'heure actuelle, à l'exception de quelques détails comme faire faire plus de kilomètres à la moto de course avant la course pour assurer un peu plus le "débuggage" ce qui est évidemment à double-tranchant puisqu'on veut toujours garder la moto de course la plus "neuve" possible. Incontestablement le manque de budget est un facteur aggravant à tout cela, un poil plus de capacités financières permettrait de faire gagner du temps à l'équipe et d'avoir une infrastructure et des moyens techniques de meilleure qualité.
Nous les pilotes, on a la partie facile : on se fait plaisir sur la moto et la partie difficile de notre job ne dure que 24h. Pour l'équipe cet échec est l'anéantissement de plusieurs mois de travail acharné lors desquels ils ont conçu, fabriqué de toutes pièces et développé une moto prototype unique au monde, en plus de tout le reste des travaux nécessaires à aligner ce projet fou sur une course d'endurance de niveau international. Au final, si je suis autant déçu c'est aussi parce que je le suis pour eux, cette bande de bénévoles taiseux qui bossent non-stop à la conduite de ce si fantastique projet sans jamais récolter les lauriers qu'ils méritent. A ce stade, "passionnés" n'est pas un terme assez fort vous qualifier les gars, franchement bravo pour tout ce que vous faites.
Et la suite alors ? Je n'en sais rien, on va digérer tout ça et se recontacter une fois la déception passée. Je vais juste vous retranscrire tels quels les derniers mots de Manu le Team Manager à mon encontre au moment de se dire au revoir : "heureusement qu'on a pas gagné aujourd'hui, comme ça on est obligés de revenir pour réessayer". Dire ça ce dimanche à 15h c'est à la fois fou, mais aussi typique du "Collectif Metissé" et c'est aussi pour ça qu'on les aime : "Une Moto et des Hommes"...
Merci et bravo aux courageux qui auront lu jusqu'ici, et à bientôt pour d'autres aventures motocyclistes !..."