Connus de 25% des motards de la fin des années 70 d’après un sondage au salon de Moto Journal (si je ne me trompe ?), il se raconte encore des tas d’histoires et balivernes au sujet des freins Luchier, non sans raisons : car rare sont ceux qui en ont vu… et l’on sait le travail du bouche à oreille…
Sur un forum consacré à la vitesse comme Pit-lane, passons d’abord à ce qu’il en fût dans ce domaine, nous réservant pour la technique et leur histoire après. Ce n’est pas la facette la plus intéressante.
La participation en vitesse fut précédée d’une réputation acquise sur la route auprès de clients, dans les 150 environ sur 7 à 8 années, trouvés hors de toute structure commerciale pour financer la recherche et trop peu la subsistance.
Elle fut aussi épisodique que modeste, culminant avec 2 participations aux 24 heures du Mans et au Bol d’or au Castelet 1980 rapidement avortées.
Monsieur Roger Ruiz qu’on ne présente pas et le britannique Darryl Pendleberry, ex-pilote d’usine Triumph, se partageaient le guidon, c’est le cas de le dire… en le poussant, le guidon, longuement…
En ces 2 occasions, ils firent preuve d’une robustesse que pouvait leur envier allumage Lucas (l’ange des ténèbres) et pistons Moriwaki de la 1000 Kawa PEM préparée durant l’hiver par Roger…
Nul n’est mieux placé pour porter appréciation quant à leur efficacité.
On lui doit un bel activisme pour faire des essais sur une Kawasaki de National Motos au temps où il les pilotait et sur sa 750 Yamaha TZ.
A la fidélité de mémoire près, se succédèrent les essais suivants:
- la version primitive du frein de 160mm (2 garnitures annulaires de 110/160mm) à moyeu monobloc sans ailettes intérieures autres que les entretoises reliant les 2 disques, sur la Yamaha TD3 de Bernard Fournanty, vainqueur du casque Total 1972.
- même version sur la 750 Honda de Pierre Lecru.
- essai sur Kawa National Moto, 750 TZ de moyeux monoblocs ailetés 110/160mm
- 24 H du Mans 80 sur Kawa PEM Luchier jante Comstar moyeu étoile disques séparés 110/160mm
- Bol d’or 80 sur Kawa PEM Luchier moyeu monobloc alu à revêtement molybdène de 220mm
Oui, mais il est tout petit, le frein...
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Le hors d’œuvre : Un peu d’histoire de la genèse du projet : Après ces paillettes un peu ternes, atterrissage dans la dure réalité qui sera une des principales limites de cette 1ère invention tant dans le domaine de la vitesse qu’au plan industriel: les moyens financiers.
Durant environ 8 ans ( ?), c’est le maigre surplus de l’activité du père qui assurera l’entretient du fils Jean-Jacques Luchier, l’inventeur et électronicien de formation, et les investissements nécessaires.
Artisan taxi et travaillant seul, on mesure sans peine la dimension réduite des moyens mis en œuvre…
Notre homme traitant toute question de quelque sorte que ce soit de la même manière, en rationaliste et en concordance avec les lois de la nature, le problème, technique et plus encore physique pour l’occasion, fut traité par l’établissement d’un cahier des charges cohérent, indépendamment de toute référence existante, du premier jet jusqu’aux derniers développements.
Le frein est né, pour ce qu’il m’en souvient, n’étant pas encore lié dans la 1ère période, de la volonté de solutionner la question du freinage de la moto d’un des frères, extensible évidemment à toute la production comme « dégât collatéral »…
Débuté comme un défi ludique à usage interne de la famille, le résultat était si génial qu’il a entraîné le besoin de concrétisation et l’orientation vers les brevets d’invention et la recherche de cession de licences de fabrication. Une exploitation industrielle interne était inenvisageable.
Une période de mutation :La période était à la mutation du freinage en moto avec les limites des tambours à l’époque, l’arrivée des premiers freins à disque en inox en production de série, lourds, peu efficaces et plus encore sous la pluie, au comportement inégal. Même si ils apportaient une amélioration notable par rapport à l’existant, il faudra des années pour atteindre de niveau d’efficacité actuel.
Une pléthore de constructeurs était concernée par ce besoin d’abandonner les tambours et la concurrence restait ouverte avec les disques.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Concrétisation et évolutions :Le pas de la concrétisation matérielle fut franchi, après dessin, en sous traitant les modèles de fonderie, les bruts en fonte et en aluminium, l’usinage, au compte goutte comme évoqué, conduisant à un temps important entre chaque mise au point, essai des matériaux de friction, etc.
Parallèlement étaient déposées des demandes de brevets en France, Angleterre, Allemagne, Italie, USA, Japon, Espagne au gré du flux de la « pompe à Phynance… ».
Au fil du temps, l’autonomie matérielle s’accru progressivement avec la maîtrise du modelage, de l’usinage, de la métallurgie, l’arrivée d’un vieux tour d’avant guerre donné par sympathie par le fondeur d’alu, le tout soulageant d’autant la manne originelle.
Galilée déclara au tribunal de l’inquisition : « Et pourtant, elle freine, ma moto ! »L’aura de la satisfaction des premiers clients servis contrastait avec les résistances et la curiosité suscitées par les dimensions ridicules du dispositif. Elle accéléra progressivement la venue des suivants, en lien avec l’activisme publicitaire du noyau impliqué, tract en main ou moyeu sous le bras, à la Bastille, dans les salons, concours Lépine, etc...
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Ces premiers exemplaires diffusés « sous le manteau » générèrent aussi les commentaires les plus fantaisistes et qui ont la vie dure (hein Marc, t’inquiète, à la rédaction de MJ aussi…) : de l’embrayage à l’envers au frein Luchier équipant les avions Mirage (annulaires eux aussi certes, mais foncièrement différents dans leur principe…) selon la loi immuable du bouche à oreille. Ils équipèrent bien des modèles, mais majoritairement Guzzi V7 et BMW / 5.
Popularisation médiatique ?La presse en fit quelques articles et essais, Moto Touring en 1975, le plus marquant étant celui rédigé par « Paulo les bretelles » Salvaire pour le Moto Journal spécial salon de 1977 (Essai 350 Morini, copie wanted).
Faire entendre l’industrie :Le lobbying de la puissante « Luchier Illimited Company » visait constructeurs et équipementiers automobiles et moto : des freins allèrent chez Honda, Moto Guzzi, BMW, Norton, MZ, (Motobécane, Harley ?). Ceux ci résistèrent héroïquement !
Il suscita toutefois un vif intérêt des ingénieurs en brevet de Bendix, quasi monopole dans l’automobile à l’époque.
Les résistances au changement dominèrent largement, notamment par la « surface » industrielle des offrants inspirant moins confiance qu’un Bernard Madoff, par exemple… Comme on les comprend.
Je renvoie pour le catalogue de ces résistances à l’excellent site JBB qui doit en savoir long là dessus.
On peut en ajouter d’autres comme le conformisme de la pensée, l’incurie technique et les buts visés des gens en charge des décisions, enfin et surtout le bouleversement des moyens de production mis en œuvre qu’implique un changement technologique, le besoin d’investissements, ce qui n’est pas rien. Il y en a d’autres !
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Le frein Campagnolo laisse pensif...
Une seule touche sérieuse, Campagnolo :Comme relaté dans le sujet « Les freins des Aermacchi de 1973 », la seule opportunité de concéder des licences se trouva avec Campagnolo, célèbre pour ses vélos et aussi pour ses roues moulées équipant les voitures de sport haut de gamme à partir des années 60.
Une lointaine identité visuelle avec le Luchier avait attiré l'attention du fils Campagnolo lors d'un salon professionnel. Il peinait à mettre au point un frein conique hydraulique à 3 garnitures radiales à 120° dont le brevet venait d'un ingénieur autrichien. Il n’était pas simple à réaliser. On le vit notamment sur les motos de Walter Willa que Campagnolo a financé pour placer ses freins. Leur usage selon les saisons variait en fonction des circuits et des sollicitations de freinage d'après nos observations amusées des comptes rendus de Moto journal... Campagnolo a rapidement jeté l'éponge...
M. Campagnolo prit rendez vous à Orly entre 2 avions, petite mallette en main, revendiquant la totalité des droits sur l’invention. Trop petite, il repartit avec.
Epilogue historique :Le débouché commercial apparu avec le nouveau marché des « pièges à grand-mères », les voitures sans permis, donnant lieu à la création d’une société. La fabrication y était intégrée, y compris la fonderie d’aluminium, pour presque tous les constituants hormis la fonte, les joints, garnitures, etc, atteignant la fourniture pour 1000 voitures par mois. Quelques planeurs furent aussi équipés de ces freins.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Ce marché ne piégeât pas que les grand-mères : fragile, pas toujours sérieux, un euphémisme, il généra une activité fluctuante un peu moins de 10 ans.
Le dessert: LA TECHNIQUEPour faire comprendre les principes qui ont présidé à la conception du frein Luchier et donnent ses qualités particulières, il faut revenir aux fondamentaux.
Que ceux qui savent déjà m’excusent. Certains ont peut être des données plus actuelles que je n’ai pas. Les autres j’espère apprécieront.
Ces principes sont ceux qu’expose Eric Offenstadt et Ed dans d’autres sujets, ceux des concepteurs qui depuis toujours ne se préoccupent que de répondre à un cahier des charges fonctionnel.
1) l’aspect thermique :Un frein a pour objet de transformer de l’énergie cinétique en chaleur ET de l’évacuer, de préférence presque aussi rapidement qu’elle se forme.
Cet objectif passe par l’utilisation d’un couple de matériaux à haut coefficient de frottement et une « fonction échangeur » efficace. Celui-ci doit avoir en plus une bonne conductibilité thermique et des formes propres à générer de l’échange thermique, donc grande surface et turbulences.
Les freins Luchier ont rarement dépassé les 100° en fonctionnement, très loin des freins à disques, donc.
Le disque était en fonte grise à haut carbone (exceptionnellement en aluminium recouvert de molybdène) et il comportait de nombreuses ailettes.
Les surfaces comparées des 2 systèmes sont sans commune mesure, comme les turbulences générées, même dans le cas des disques ventilés. Ceci explique cela.
Une conséquence est la possibilité d’utiliser des garnitures fonctionnant à basse température dont la courbe de coefficient de frottement reste très linéaire par rapport à celles utilisées pour les disques acier, pire encore pour ceux en carbone (inaccessibles en utilisation domestique et hors de prix).
Nous avons toujours employé des garnitures de coef 0,45 supportant 150° maxi.
Nous avons utilisé exceptionnellement des garnitures en coton tressé gras ( !) qui à l’époque avait un coef inhabituel de 0,7 mais s’écroulaient au-delà de 80°, un poil trop juste, mais quel ressenti !
On doit faire sans doute beaucoup mieux depuis, mes références ont 30 ans et les infos actuelles pas facile à obtenir (ou je suis nul).
2) La conception mécanique :Le choix de la garniture annulaire commandée par un vérin annulaire axial à plusieurs conséquences :
a) Une importante surface de frottement et une pression unitaire faible sur la garniture.
La surface de vérin annulaire utilisée était de 30/63mm soit 24 cm2, 48cm2 pour un double frein.
Maîtres cylindres de 11mm soit 1cm2, bras de levier rapport 6.
Force appliquée de 5 à 10 kg (?) implique une pression de 30 à 60 bars.
Surface de garniture annulaire 110/160mm = 106cm2 x 2 = 212cm2
Cette pression hydraulique relativement importante suppose l’utilisation de flexibles très rigides en pression.
Faibles contraintes thermiques et mécaniques sur les garnitures impliquent un faible degré d’usure.
b) Une progressivité inconnue jusqu’alors due à l’absence d’effets parasites : auto engagement mécanique, usure en biais lié au disque agissant comme une lame défilant dans une pince, coincement des pistons.
Pas de frottement résiduel lié aux plaquettes montées libres (garniture collée ou visée sur plateau de pression Luchier, lui-même ramené par l’élasticité des joints).
Cette caractéristique de liberté axiale implique impérativement un arrêt en rotation des plateaux de pressions par des biellettes à fonction rotule !
c) La pression des vérins axiaux s’équilibrent avec un double frein, elle doit être compensée dans le cas d’un frein simple (butée à bille ou autre).
La broche de roue assure le bouclage du système tension axiale de faible intensité).
3) La simplicité de fabrication :Le frein Luchier est d’une simplicité déconcertante, obtenu en quasi-totalité en tournage.
Il est toujours plus petit pour cause de meilleur échange thermique, impliquant lui-même l’inutilité de la sophistication, l’usage de matériaux courants pour une production très bon marché.
Nota : Au fil de la mise au point et à partir de l’inexpérience initiale, vite résorbée de son génial créateur, il est apparut que les moyeux monoblocs en fonte grise dont les formes intérieures étaient obtenues par les noyaux de sable au carsil très durs généraient des tensions au retrait.
Elles se libéraient parfois en fonctionnement sous forme de criques au droit des entretoises.
Les moyeux obtenus ensuite par assemblage de 2 disques moulés en 2 faces n’avaient pas ces défauts.
Sans surprise, mais très rarement, une tension excessive au rayonnage pouvait provoquer des casses au niveau des trous de rayons. La fonte grise, en tension, pas terrible…
On peut bien sûr utiliser des roues à bâton à voile central étroit éliminant ces problèmes.
Conclusion :Un système universel est valide dans la durée.
Bridé à l’époque par les moyens financiers et les besoins de survie, il n’a put atteindre le développement industriel et commercial qu’il méritait. Quel gâchis.
Il est tout aussi intéressant pour l’automobile, la fusée intégrant les fonctions moyeu et vérin, le disque supportant directement la roue, seul le plateau de pression garni s’ajoute.
J’ai toujours eut une dent contre ceux qui proclamaient « la fin de l’Histoire », les c….
Cette Histoire là ne peut être finie.
J’ai oublié des choses, dit des âneries, été trahi par ma mémoire ? Possible sinon probable.
J’espère que Jean-Jacques Luchier dont j’ai perdu la trace enrichira mon propos pour l’emmener plus loin.
Les présentations étant faites, une autre histoire à venir, un autre brevet incroyable, le même génial inventeur ?
http://www.pit-lane.biz/t1575-technique-moteurs-elle-est-chaude-ma-culasse#40925