Quelques moments passés chez Forward Racing...J’ai entendu parlé de Jules Cluzel, pour la première fois, lorsque son agent, Eric Mahé, l’a envoyé, en 2005, finir à une exceptionnelle deuxième place au Mugello, lors du championnat italien de vitesse 125cc.
Cela se passait au sein de la structure du Villiers Team Compétition de Karim Djaouk ; ceci explique cela...
Cet authentique exploit m’est souvent revenu aux oreilles, la dernière fois étant le week-end dernier à Estoril de la bouche d'Eric: « et là, je vois mon Jules qui déboulle en tête avec sa petite Honda bleue et rouge… »
Jules possède une position de pilotage qui lui est propre ; assez en avant sur la moto, avec le buste et la tête relevés, contrairement à la mode actuelle qui consiste à aller raser le bitume avec son menton.
Estoril, étant sans doute l’un des circuits où les photographes sont au plus près des motos en piste, permet de le confirmer.
Depuis l’exploit de 2005, les années ont passé mais le couple Cluzel/Mahé a su résister aux aléas de la compétition et progresser vers le sommet de la catégorie Moto2.
Jules fait même partie de la tête de la hiérarchie depuis ses performances au Qatar et sa victoire à Silverstone.
Cette année, il n’est jamais loin des premières places mais, durant l’hiver, un peu à l’image de Sofuoglu, ses concurrents se sont sérieusement entraînés et atteint un niveau de performance que les nouveaux pneus Dunlop ne permettent plus de niveler par le bas.
Dès lors, pour notre représentant, il faut aller chercher les derniers dixièmes « à la force du poignet » et cela ne se fait pas toujours sans flirter avec la limite…
Profitons de ce retour au stand pour faire plus ample connaissance avec le team Forward.
Bien qu’Italien par ses gênes, il est officiellement basé en Suisse et aligne Jules Cluzel et Alex Baldolini.
Il est la propriété de la société Media Action, dont le but est avant tout de rechercher des sponsors, mais qui, dans le cas présent, en a sélectionné quelques uns pour financer le team Moto2 (et, depuis cette année, une structure en 125cc).
Au sein de cet environnement italien, Jules dispose d’une cellule française entièrement dévouée à sa cause :
- Eric Mahé, ami, agent de Jules et de Randy De Puniet, mais aussi ancien pilote et excellent technicien pour les suspensions…
- Bernard Martignac, chef mécanicien, co-fondateur de l'écurie Tech 3 et mécanicien de Shinya Nakano l'année du titre mondial d’Olivier Jacque…
- Florian Ferracci, mécanicien et ancien de chez Kawasaki MotoGP…
Une bien belle équipe, tout à fait à même d’accompagner Jules vers le sommet de la hiérarchie.
C’est grâce à la gentillesse de Florian Ferracci, alias « Ferchou » sur ce forum, que nous avons pu avoir « portes ouvertes » chez Forward. Un grand merci à lui !
Profitant de cette occasion privilégiée, on constate plusieurs particularité sur la Suter du Français.
Malgré les traces d’une vie visiblement déjà mouvementée, il s’agit bien d’un châssis 2011 (MMXI, doit-on dire)….
Toutefois, le train avant ne correspond pas aux éléments habituellement montés sur ses sœurs helvétiques…
En lieu et place des sempiternels fourches Öhlins FG366 et étriers Brembo Al/Li, on trouve ici… les éléments de la Hayate, ex-Kawasaki MotoGP !
En effet, on se souvient que l’équipe Forward avait en charge l’exploitation de la Japonaise, pendant sa dernière année de compétition, et le team a ainsi eu l’opportunité et la volonté d’acquérir ces éléments offrant un excellent rapport coût/technicité.
Est-ce vraiment un avantage ?
Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement entre les plaintes ponctuelles de Jules concernant son train avant et le fait que Öhlins ait proposé, dès l’année dernière, une fourche à la rigidité diminuée pour offrir un meilleur feeling à son pilote.
Il serait évidemment totalement présomptueux d’affirmer quoi que ce soit, dans un sens ou dans un autre.
Seuls les hommes de Forward pourraient répondre…
En continuant d’observer la moto de Jules, on note qu’il opte pour une répartition des masses centrée sur l’arrière : serait-ce pour compenser sa position de pilotage assez en avant ?
En fait, probablement pas, car si on peut constater des réglages diamétralement opposés dans le paddock, on note toutefois que Marquez et Bradl ont adopté un réglage à peu près similaire…
A l’issue des essais, Jules est satisfait de sa moto, ne lui trouvant aucun défaut particulier.
Tout au plus aimerait-il un plus de feeling à l’avant et un peu plus de grip à l’arrière, mais c’est le souhait de tous les pilotes du plateau!
A la veille de la course, il est donc assez confiant, tout comme son entourage qui le verrait bien sur le podium.
Le début de la course semble confirmer ce pronostic car, après un départ quelconque, Jules remonte assez vite jusqu’à la 4ème place.
Tout se déroule donc bien jusqu’à ce que Iannone ne le passe sans coup férir pour continuer sa remontée fantastique.
(A titre d’information, j’ai pu observer les différences de pilotages entre les deux hommes quand ils étaient l’un derrière l’autre : l’Italien accélère parfois plus tôt et plus progressivement que le Français, ce qui le rend plus véloce quand les motos sont pleinement redressées).
Jules reste quelques tours dans le sillage de l'Italien, puis chute au 12ème tour, sur "perte du train avant".
A-t-il voulu s'accrocher à tout prix à Iannone pour profiter de sa remontée? Lui seul le sait!
Quelques tours plus tard, Iannone, alors en tête, chutera également mais repartira pour finir 13ème.
Un peu plus tard, dans le box italo-suisse... les héros sont fatigués!
Le Français est extrêmement déçu, calculant et recalculant les points perdus lors de cette manche portugaise…
En fin d’après-midi, j’assiste à une scène assez poignante.
Jules prend le volant de son camping-car et règle son GPS pour le ramener à Montluçon (et non, tous les pilotes n’ont pas la vie facile des stars du MotoGP).
Il déclare alors : « tu sais, le plus difficile, ça ne va pas être de conduire jusque chez moi. Cela va être d’être seul avec moi-même, pendant quinze heures, à penser aux points perdus pendant ce week-end. »
Eric Mahé l’embrasse affectueusement, lui déclare « fais attention sur la route « Chicken », et arrête-toi quand tu es fatigué .»
Une dernière manœuvre, un dernier signe de la main, et Jules disparaît pour un voyage de 1600 kilomètres, seul avec ses regrets.
« Séquence émotion », comme dirait Nicolas Hulot…
Pour conclure, à propos d'émotion et de respect, il serait injuste de passer sous silence la passion de Florian Ferracci; ancien pilote et ancien mécanicien de MotoGP (ce qui lui a valu de piloter la Kawasaki MotoGP, un honneur rarement accordé), on se dit qu'il doit être blasé par tant d'années sur les circuits...
C'est tout le contraire; quand il ne travaille pas sur la moto de Jules, il va soutenir et encourager nos pilotes (ici, Alan Techer, pilote Red Bull Rookies Cup) lors d'un week-end de Grand Prix... ou, dans le cas contraire, n'hésite pas à prendre la route pour aller soutenir Florian Marino en Supersport mondial aux Pays-bas!
Respect!