- Marc a écrit:
- Intéressant!
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Pour les non anglophones, voici un court résumé :
Cet article mentionne le déclin (quantité, qualité, couverture télé, problèmes d'organisation...) du championnat AMA depuis son achat par DMG (le groupe qui détient le circuit de Daytona et la NASCAR). Il mentionne aussi une rumeur comme quoi la DORNA (organisatrice du CEV, du MotoGP et du WSBK) serait intéressée pour reprendre le championnat AMA.
Voici mes réflexions à chaud :
Quand j'étais à Daytona, j'ai été étonné par le nombre de personnes qui me demandait comment était la course moto en Europe et certaines ne masquaient pas leur admiration pour la compétition moto en Europe. Cette envie de vieux monde est nouveau. Un sens du regard, de l'Amérique vers l'Europe, qu'on ne voit pas chez les américains à part chez les Bobos newyorkais.
J'explique cela par le fait que tout le monde voit que le championnat AMA décline et que les niveaux de pilotage et technique européens sont supérieurs, que les circuits européens sont superbes (les américains ne connaissent que les grands circuits de GP et ne s'imaginent pas qu'un Ledenon ou un Albi existent) et mettent cela sur le dos de DMG car la "chute" s'est fortement accélérée depuis la prise de pouvoir de DMG. Il faut aussi comprendre que dans l'esprit américain DMG=NASCAR et que le monde de la moto de vitesse américain est loin de la NASCAR, ce ne sont pas les mêmes fans, les Etats phares de l'un ne sont pas ceux de l'autre, etc... Il est presque de bon ton de dénigrer la NASCAR quand on est un fan de moto de vitesse, surtout pour les américains de l'ouest.
Mettre DMG au pilori aussi vite est une réaction mais n'est pas le fruit d'une analyse un peu historique. Sans aller dans les détails, le déclin a commencé bien avant que DMG arrive.
Situons la grossièrement à 1995 dont la situation est à peu près celle-ci :
Les pilotes américains ne dominent plus les GP après l'avoir fait pendant 15 ans.
Les réussites d'Edwards ou de Kocinski en SBK et de Hayden en MotoGP, voire même les coups d'éclats des Bostrom, ont même caché ce déclin et ont permis aux américains de se mentir ou du moins de ne pas ouvrir les yeux assez grands et assez tôt.
Pendant que l'Europe sous l'impulsion post Franquiste (nouvelle orientation économique de l'Espagne et cadres disponibles) (NB : presque tous les cadres du sport espagnol des années 80 étaient des anciens cadres franquistes, cf Samaranch "père des JO modernes ultra financiers" était secrétaire d'Etat sous Franco et un de ses conseillers personnels), misait tout sur les GP avec des "vraies moto de courses", les américains misaient tout sur les motos de courses dérivées des motos de série. Cela a creusé le fossé, non que l'un soit intrinsèquement mieux que l'autre, mais cela a conduit au quasi abandon aux USA de la progression par la cylindrée en faisant de la 600 la catégorie d'accès même si des 125 2 temps existaient encore mais elles étaient vues comme des pis-aller et non comme une marche d'un système. Cela peut paraître un détail mais cela est structurant car l'Europe "espagnole" a mis cette progression par la cylindrée au coeur de son système de formation des pilotes et même des teams et leurs personnels.
Ainsi, depuis 20 ans, les pilotes européens commencent à 6 ans et arrivent aujourd'hui en Moto3 en GP avec un bagage (technique et tactique de pilotage) énorme, ils savent faire ce que des pilotes de 30 ans ne savaient pas faire il y a 20 ans à quelques exceptions près; je ne dis pas qu'ils sont meilleurs, c'est autre chose. Un pilote américain de 16 ans n'a pas le bagage d'un pilote européen de 12 ans. DMG n'est en rien dans ce choix fait bien avant son arrivée dans le paysage moto américain.
Ce constat est amusant d'une certaine façon car c'était l'inverse dans les années 70 et début 80, les américains commençaient la compétition plus jeunes que les européens.
Ces choix différents ont aussi eu des effets de bord différents.
Par exemple, la mise en place d'un système de formation des pilotes en Europe depuis plus de vingt ans a nécessité des cadres et leur renouvellement continu sur la durée. Celai a permis à de très bons pilotes encore tout jeunes retraités de devenir formateurs et/ou entrepreneurs comme Alzamora, Puig, Gresini, Cechinello... après que des Agostini et surtout Roberts (un américain, ironie de l'histoire!) aient ouvert la voie au tout début du choix de ce système.
Même la France, qu'on dit pourtant souvent à la traîne de ce système, en bénéficie. Ne citons que Bronec dont on peut penser qu'il n'aurait pas pu être à la fois à la tête d'une écurie en GP et cheville ouvrière du dispositif FFM de la détection et du suivi de jeunes talents
Aux USA, pas ou peu de grands pilotes ont choisi cette voie, faute d'envie peut-être, mais surtout faute de débouchés car, à 30-35 ans, faire vivre sa famille est au centre de ses préoccupations.
Même si un grand pilote ne fait pas forcément un bon formateur, sur le nombre aujourd'hui ayant choisi cette voie il y en a de très capables et on peut penser que c'est un vrai plus et le système permet le nombre. Le fossé Europe - USA ne pouvait que s'agrandir encore.
Néanmoins et même si le déclin américain est antérieur à la prise de pouvoir de DMG, il ne faut pas occulter son rôle d'accélérateur. DMG est le promoteur américain type : il faut du spectacle facile à comprendre et il faut qu'il y ait des morceaux américains dedans.
Partant de ce principe, DMG a décidé que la catégorie reine aux USA ne sera plus le SBK mais une nouvelle catégorie, le Daytona Sport Bike, pour permettre à des motos différentes, DONT des américaines, de concourir en fournissant un spectacle où la bannière étoilée pourra être visible et si possible en avant. Il faut comprendre que la culture de DMG s'appuie sur cet état d'esprit : la NASCAR est la discipline mécanique américaine par excellence et depuis que des constructeurs asiatiques et des pilotes étrangers gagnent aussi, la rivalité USA/reste du monde est un élément du spectacle.
Seulement, malgré un règlement technique assez bien fait, cela n'a pas fonctionné. Si on a vu des Buell et des Ducati 848 au début, elles ont disparu car demandant trop de développement pour être compétitives. De plus Harley Davidson a supprimé la marque Buell et cela n'a pas soutenu le propos de DMG. Il ne reste que des 600 japonaises et des 675 Triumph. De plus, Triumph est plus perçu proche des japonaises que des Ducati.
Cela n'a pas fonctionné car le public moto américain veut des chevaux et de la vitesse comme tous les autres publics : il voit une course de DSB, un quart d'heure après il voit une course de SBK et là il lui est facile de se rendre compte que c'est différent. Les SBK vont plus vite et surtout çà se voit. Bref, le public le moins averti qui constitue la majorité préfère les SBK comme on préfère ici les MotoGP aux Moto2 ou les SBK aux 600SS.
En poursuivant ce raisonnement, on peut se demander si l'erreur de DMG n'a pas été de supprimer les SBK.
Mais cela était impossible car DMG devait composer avec les constructeurs qui étaient investis en SBK. Honda, Yamaha et Suzuki étaient encore représentés officiellement au début de l'ère DMG même si Honda l'était plus en sous main. Qui paient les grands pilotes? Les constructeurs. Ces grands pilotes sont restés en SBK et le public regardait les SBK avec des étoiles dans les yeux qu'ils n'avaient pas pour les DSB. Sans compter aussi que la moto fait le pilote pour le public et que cela est déterminant dans sa motivation. Par exemple quand Hayes était vu comme un vieux (32 ans) bon pilote alors qu'il gagnait tout en 600, il est passé au statut de star quand il a tout gagné en SBK alors qu'il était le même juste encore plus vieux.
La boucle était bouclée, le DSB ne sera pas la catégorie reine de la moto US même si DMG lui a offert les 200 Miles de Daytona jusqu'à cette année. Cet échec des DSB cristallise celui de DMG, du particulier au général le pas est vite franchi et les boulets rouges ont une cible toute désignée.
Il ne faut pas aussi négliger le rôle qu'ont joué les interviews des pilotes de renoms courant aux USA qui ont dit haut et fort que les décisions de DMG allaient à l'encontre de l'intérêt de la moto. Madlin, australien ayant eu ses années de gloire aux USA, a été particulièrement saignant au moment de sa retraite l'année qui a suivi l'arrivée de DMG. Russel, Mister Daytona, n'y a pas été avec le dos de la cuillère aussi.
Mais DMG est toujours là. Il semble qu'il veuille changer les choses (la rentabilité du championnat AMA doit être mauvaise!). Première décision : redonner les 200 Miles de Daytona aux SBK dès 2015. C'est un signe fort car c'est un peu avoué son erreur. Sera-t-il suffisant? Non.
La catégorie SBK US est moribonde avec deux équipes officielles, Suzuki et Yamaha, et bien moins de 20 motos au départ. Pourquoi? Pas facile à dire. Que faire? Encore moins facile.
Limiter les coûts? C'est déjà fait. On a joué sur le nombre de courses, trop même. On a joué sur le règlement qui a considérablement diminué les développements des machines (Moteurs 70% WSBK et 30% Superstock , parties-cycles proches des Superstock sauf les freins, informatique embarquée fortement limitée en coût...). Aller au delà voudrait dire aller vers du Superstock pour tous. Pourquoi pas mais je ne suis pas certain que cela change quelque chose. Sauf si...
Oui, "sauf si" car les USA sont plus grands que l'Europe et que toujours le plateau AMA a été constitué de 60-70 % de pilotes faisant tout le championnat et de 30-40% de pilotes locaux ne faisant que 1 à 3 courses. Il faut entendre par pilote local un pilote habitant à moins de 1500 km du circuit et pas un local style Ledenonien ou Carolien. Pour cela il faudrait que ce pilote local puisse courir sur une moto acceptée par le règlement AMA tout en étant assez compétitive pour espérer être au deux tiers de la grille. Si on regarde les championnats locaux (il y a d'autres fédérations que l'AMA aux USA), on voit que les meilleurs pilotes sont aussi bons que le 10-12ème en AMA mais leurs motos sont principalement des Superstock ou parfois des formules presque libres proches des anciennes SBK. Dans le premier cas, le pilote ne figurera pas à la place qu'il peut espérer (pour rappel, à Daytona, la vitesse maxi sur l'anneau en SBK a été de 328 km/h alors que l'anneau pénalise, une Superstock en est loin). Dans le second cas, il ne pourra pas s'engager.
Il est certain que ce n'est pas cette passerelle entre les règlements des différentes fédérations américaines qui fera que les pilotes américains rattraperont les européens mais cela pourrait aider à remplir les grilles et c'est déjà ça.
Que penser de cette rumeur Dorna au secours de l'AMA?
La rumeur de la Dorna doit être bien perçue d'une partie des américains impliqués dans la vitesse moto car ils la traduisent par argent et haut niveau.
Pour l'argent, il faut du public sur les circuits et devant leurs écrans de télé. Pour le haut niveau, inévitablement en comparaison du niveau européen, il faut un système.
Je ne suis pas sûr que la recette européenne soit stricto sensu faisable aux USA. Il faut du temps, des cadres adhérents au projet, de l'argent... toutes choses qui s'opposent à la solution miracle telle que d'aucuns l'espèrent.
D'où vient cette rumeur? La Dorna en est-elle l'instigatrice?
Peut-être de la Dorna qui est aux abois aussi, elle lance le bouchon pour voir si çà mord.
Elle est aux abois car l'Europe n'est plus ce qu'elle était, l'Espagne en tête même si la comète a encore une belle queue. La Dorna fait les yeux doux de plus en plus appuyés vers l'Asie mais on ne peut pas dire que les asiatiques aient envie de se faire phagocyter par les européens comme les européens l'ont été eux mêmes par les espagnols. Bien sûr, ils peuvent accepter de l'être pensant qu'ils seront gagnants aussi mais ils peuvent aussi observer, apprendre et réaliser le tout eux-mêmes comme des grands. Dans un cas comme dans l'autre, c'est possible mais pas gagner d'avance. Ce qui se passe en ce moment dans l'Asie de la moto montre que l'Asie est bien moins homogène que ne l'est l'Europe de la moto et cela complique les choses.
Les USA ont longtemps été perçus à raison comme les champions du sport professionnel avec la mise en place de systèmes complets prenant en compte les acteurs (sportifs, entraîneurs, médecins, gestionnaires, agents...), des organes (écoles ou universités, organisateurs, équipes professionnelles, stades, presse...) et des fonctions (formation de tous les acteurs, communication-marketing...). Le tout ayant pour objectif de faire de l'argent (la différence entre amateur et professionnel) en construisant un public captif le plus large possible.
Force est de constater avec ironie que la moto de vitesse américaine des années 2000 fait très amateur par rapport à la moto de vitesse européenne contemporaine.
Une dernière réflexion plus personnelle.
En tant que passionné et pratiquant de moto de vitesse qui se veut un peu averti, je ne suis pas certain que le modèle Dorna, pourtant applaudi par beaucoup au prétexte qu'il donne de belles images animées, soit l'avenir.
Il y a une course en avant inhérente au système mis en place qui ne peut empêcher les crises de croissances et même les crée.
De plus, faire de l'argent sur des mômes de 12 ans n'est pas ce que j'appelle une belle chose au sens où la régression sociale et morale n'est pas loin. Je ne sais si il faut s'extasier du niveau de Quartararo parce qu'il a 15 ans ou parce son talent est énorme. En tout cas je ne m'extasie pas, j'attends.
J'ai apprécié l'ambiance plus amateur que j'ai vécue en mars à Daytona qui m'a procuré beaucoup de plaisir. Ce n'est pas de la nostalgie, c'est même exactement le contraire. Je ne pense pas qu'il faille opposer amateur et professionnel car il est possible d'avoir un sport de haut niveau dans un cas comme dans l'autre, je dis même qu'il faut laisser les deux s'exprimer ensemble. Le professionnel a besoin de l'amateur pour vivre longtemps, là est son renouvellement, un des remèdes à ses crises de croissance. J'ai déjà cité sur plb l'apport des playgrounds de rue au Basketball pro, ce n'est qu'une illustration de ce que j'exprime ici. Le Basket pro est encore plus fort depuis.
Le tout Dorna, c'est la sclérose assurée. C'est mettre l'absence de dynamisme endogène en avant par volonté de conformisme pseudo-mondialisé. Cela fait pompeux mais c'est bien ce que montre cette rumeur de Dorna comme sauveuse de l'AMA. Si cette rumeur avait un fondement, je serais un peu triste.
Alors voilà, je n'énonce pas la solution au déclin de la moto de vitesse aux USA car je n'en ai pas la prétention mais j'espère que cela peut aider les pit-laneux à le comprendre un peu mieux.
Avis aux modérateurs : mon post est plus long que je l'avais prévu et dépasse la cadre AMA. Libres à vous de le déplacer si vous le voulez.