La saison 2016 américaine va bientôt commencer comme ailleurs. Que peut-on en attendre ?Début 2015, j’avais fait un état des lieux des suite au rachat du championnat AMA par MotoAmerica au groupe DMG qui devait, nous avait on dit, tout changer en beaucoup mieux. Pour ceux qui voudraient se rafraîchir la mémoire :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Comme depuis plus de trois mois, j’ai la chance de correspondre, parler et rencontrer des pilotes, des teams (des gros comme des petits), des équipementiers, l’AMA ( la fédération américaine) et les organisateurs MotoAmerica pour aider Valentin Debise bien connu des pitlaneurs à s’installer aux USA pour au moins la saison 2016 complète. Ce travail – qui a abouti à courir en 2016 Daytona 200 et le championnat MotoAmerica - est un travail collectif avec le pilote bien entendu et un de ses amis qui croit en lui et l’aide à son installation américaine sans laquelle le projet irait dans le mur avant même que d’avoir commencé.
C’est cet œil « de l’intérieur » que je voudrais faire partager ici.
J’écris au fur et à mesure les quelques lignes qui suivent à temps perdu entre deux rendez-vous dans des villes parfois distantes de 4 000 km d’un jour à l’autre. Si le rêve américain a rétrécit pour certains, sa géographie est restée la même !
Quel est le bilan 2015 de MotoAmerica ?Le premier aspect positif qui est très important car il est à la fois le baromètre du championnat et un de ses moteurs est le moral des troupes à l’issue de cette première saison MotoAmerica : il est très bon, chaque acteur a l’impression qu’il est mieux compris et qu’on s’occupe mieux de ses intérêts.
Ensuite, le remplacement de la coupe Harley par la coupe KTM390 dans le programme AMA a montré par l’exemple qu’on se préoccupait de l’avenir en permettant à de jeunes pilotes de se mesurer pour un budget somme tout limité sur un plan national (n’oublions pas que les USA sont plus grands que toute l’UE) et devant tous les décideurs.
La mise en valeur de la catégorie 1000 Superstock qui pour des questions de grilles encore maigrichonnes fait course commune avec les Superbike, a montré à tous que l’avenir tend à une harmonisation des règlements techniques US avec ceux de la FIM. Ceci est très important pour les américains car après avoir joui de leur splendide et puissant isolement dans les années 70-80, ils en souffrent depuis que cet isolement s’est retourné contre eux ces vingt dernières années.
Cependant, tout n’a pas été rose en 2015. Pas plus de pilotes et pas plus de teams. Toujours un plateau Superbike très peu fourni malgré l'habituel contingent de pilotes locaux venant se greffer aux pilotes permanents sur chaque épreuve nationale. Pas de pilotes étrangers permanents autres que les sud américains habituels et l’infortuné espagnol Bernat Martinez déjà présent en 2014.
Sur le plan des pilotes, le renouvellement des têtes d’affiche se fait toujours attendre même si celui qu’on présentait comme un prodige il y a 5 ans, JD Beach, a enfin confirmé par un titre en Supersport.
Il reste donc difficile de juger du niveau réel des pilotes US par rapport aux meilleurs mondiaux même si Hayes a déjà fini 6ème lors d'une wild-card MotoGP.
Les deux points noirs restent l’absence de couverture TV hors streaming (cad, hors internet) et son corolaire, la présence officielle des constructeurs même si Suzuki en SBK et Yamaha en SBK et SSP ont continué à faire le show en 2015 comme les années précédentes. Il faut malgré tout dire qu’Aprilia USA avec le soutien d’Aprilia Racing Italie a engagé une RSV4 en Superstock par le biais d’une bonne équipe du nord de la cote Ouest . Les derniers résultats ont été suffisamment encourageants pour que cette opération soit renouvelée en 2016.
Que pourrait être 2016 ?L’organisateur le clame haut et fort, il n’y aura pas de réussite du projet sans la « vraie » TV et sans les constructeurs.
La rumeur dit que 2016 verrait le retour des caméras sur les circuits avec diffusions en direct sur le territoire national et en différé dans les autres pays. Une annonce pourrait être faite très prochainement. Croisons les doigts.
Si cela était le cas, on peut être assuré d’un gros travail de MotoAmerica tout au long de l’année pour faire revenir Kawasaki et Honda avec en ligne de mire une année 2017 souriante pour la moto de compétition américaine.
Pour ceux qui se demandent comment est structuré le marché (on ne parle plus de sport moto depuis longtemps) de la moto de compétition américaine, voici quelques éléments de réponse.Tout d’abord, les américains ne sont pas plus bêtes que les autres et si on a l’impression qu’ils se sont endormis sur les lauriers arc-en-ciel des Roberts, Lawson, Rainey, Roberts junior et Hayden ce n’est pas tout à fait vrai. Ils ont du faire face à une crise du marché du deux roues bien plus forte qu’en Europe. Ils se vendaient 1 200 000 motos par an il y a 15 ans, ce nombre est descendu à 400 000 en 5 ans et vient à peine de remonter à 500 000, soit même pas la moitié de ce qu’il était il y a peu encore. Pas d’artefact de motocyclette comme les scooters pour masquer les visages crispés des acteurs et sauvés les officines aux pales néons comme en Europe par exemple. Une baisse qui se paie cash et a orienté les forces encore valides vers autre chose qu’à imaginer le futur sur des ronds de bitumes balisés de vibreurs mais plutôt à se retrousser les manches pour encore garder de la gomme sur les Highways.
Ensuite, les USA ont été des grands oubliés de la Dorna et de ses satellites quand le système pyramidal d’accès aux GP a été mis en place. Un système qui mise sur une base de centaines de gamins pré-pubères puis en élimine chaque année une bonne partie tout en prenant soin d’en trouver de nouveaux pour garantir une assez large base à la pyramide. Au final, ces enfants ont des emplois du temps de pilote pro dès 12 voire 10 ans et espèrent accéder au graal GP entre 16 et 18 ans. Il faut de 50 à 300 000 euros par an selon les étages de la pyramide rien que pour l’aspect moto ! Et en plus le ticket a encore augmenté avec l’abandon du 2 temps y compris pour les catégories d’accès. N’en déplaise aux chantres des pisses-feux, le 4 temps en lui-même n’est pas en cause mais ce sont bien les modalités de sa mise en oeuvre qui le sont. Le choix du toujours plus a été fait. Si vous êtes américains il faut doubler ces sommes car la famille doit déménager et s’implanter dans un pays très lointain sans pouvoir y avoir de revenu. Plus d’un million de dollars pour 4-5 ans ! Quasi impossible !
Alors, les jeunes américains ont continué de progresser au sein leur propre système, un peu à l’ancienne pourrait-on dire, et de fait ils ne sont pas au niveau des meilleurs mondiaux. Il ne leur reste alors que leur championnat pour poursuivre une carrière. Le serpent se mord la queue. Malheureusement, quelques exemples attestent de cela comme celui de Beaubier qui est parti très jeune en Espagne puis propulser trop tôt en GP sans être assez armé ou Herrin qui, élevé à la pure sauce sucrée américaine, a débarqué en Moto2 presque seul au milieu des plats de paëlla et sans le background nécessaire. Beaubier revenu au bercail a mis 3 années à se reprendre pour reprogresser et devenir champion SBK 2015 mais sans qu’on sache sa valeur sur le plan mondial. Herrin n’a pas encore remonter la pente et souhaitons lui que 2016 soit l’année du renouveau pour lui.
Quelle est la typologie des parties prenantes de la compétition américaine ?Elles sont les mêmes que partout mais présentent des singularités qui en font à la fois leur charme et les rend un peu difficiles à comprendre pour les européens, les jeunes surtout.
Tour d’abord, le système fédéral est complètement différent.
Il y a l’AMA, la fédération nationale, qui est avant tout une association des droits du pratiquant de la moto et quad de route et de offroad. La compétition y est marginale face aux moyens colossaux qu’elle met en oeuvre pour faire du lobbying auprès du Congrès et de la ribambelle d’avocats qui travaillent pour défendre ses membres. Elle délivre des titres nationaux amateurs et professionnels. Elle « sous-traite » à des organisateurs privés tous les championnats professionnels. A noter que le sport moto roi aux USA est le cross et le supercross et de loin.
Il y aussi des fédérations régionales qui couvrent pour schématiser environ 15-20% du territoire chacune, elles organisent en propre des compétitions et championnats permettant aux pilotes de monter de catégorie (de niveau de pilotage) pour, ceux qui le peuvent et veulent, accéder à la licence professionnelle AMA. Ces fédérations s’entendent bien entre elles car il y a peu de recouvrement de territoire et les intérêts des unes sont ceux des autres.
Au niveau pro, il faut des teams. Même si il existe des teams pros au niveau régional, ne parlons que des teams évoluant en AMA. Tout d’abord, il faut laisser de côté la comparaison avec le reste du monde : ce n’est pas le FSBK où 90% des teams sont constitués du pilote, du père et du voisin venu en ami, ce n’est pas le MotoGP où tout le monde est professionnel du nettoyeur de carénages au team manager du HRC. Ce n’est pas non plus un entre-deux.
La grande majorité des teams sont des entreprises qui sont là pour gagner de l’argent et au minimum faire vivre ceux qui y travaillent. Pas la peine de leur parler de loi des associations type 1901, il sont loin de tout ça.
Il y les teams officiels des constructeurs sans qui rien ne serait depuis la première course de sport mécanique malgré le fait qu’on entende dire que ce sont eux les empêcheurs de bien faire. Ceux qui disent cela ont du oublier leur histoire de la compétition mécanique et le principe de réalité. Ils ne sont que deux depuis 4 ans : Yamaha Graves avec 4 pilotes (2 en 600 SSP et 2 en 1000 SBK), Suzuki Yoshimura avec 2 pilotes en SBK. Cela fait 6 pilotes officiels, les seuls payés par les constructeurs pour courir. C'est-à-dire rien au regard de la taille du marché et c’est bien un des bâts qui blessent ce pays qui avait pourtant donné des leçons de professionnalisme aux pilotes du reste du monde il y a 40 ans.
On peut ajouter à ces teams officiels celui d’Aprilia RS RaceCraft même si il n’est pas comparable en taille aux deux autres.
Viennent ensuite les gros teams professionnels qui sont souvent là depuis longtemps et sont de vraies entreprises. Certains sont des teams support de constructeur (Hammer pour Suzuki en 600, TOBC en 600 pour Yamaha par exemple) qui peuvent servir d’antichambre pour passer dans les teams officiels (cf Cardenas passé de Hammer à Yoshimura). D’autres n’ont pas de tels accords avec des constructeurs mais sont tout aussi performants.
Enfin, il y a le reste qui est constitué de petites entreprises qui font courir des pilotes de la famille ou non. Ces teams sont plus volatiles et le turnover est important.
Mais rien ne serait sans les pilotes. Comme partout, il y a le gros de la troupe qui ne fait que des trackdays (des roulages), une petite partie fait de la compétition dans les différentes catégories des associations régionales et encore une bien plus petite part évolue au niveau national AMA. Cependant, pas mal de pilotes pros AMA participent aux plus fortes catégories des associations régionales, cela les fait rouler et arrondit leurs fins de mois car là est une particularité du système américain.
Cette particularité porte le nom de Contingency Program ou Contingency Plan. Les constructeurs de motos offrent des primes à tout pilote courant sur une de leurs machines aussi bien en AMA qu’ailleurs. Ces primes constituent souvent le premier financement de la saison d’un pilote. Cela ressemble un peu à ce qui se passait en Europe dans les années 60 à 80 avec les primes de départ et d’arrivée dans ce qu’on appelait les courses inter (pour les plus jeunes, c’étaient des courses Open en dehors de tout championnat) sauf qu’à l’époque ces primes étaient payées par les organisateurs et non par les constructeurs comme aux USA de nos jours. Ces Contingency Programs portent sur des millions de dollars sur l’année.
Avec ce système, certains pilotes font 60 courses par an dont parfois 6-7 dans un week-end avec une 600 et une 1000 tant les catégories sont nombreuses. Par exemple, un bon pilote AMA peut avec une Kawasaki 600 Superstock et une Kawasaki 1000 Superstock monter sur les podiums (et donc incrémenter son compteur de primes du Contingency Program Kawasaki) : 600 STK, 600 SSP, 1000 STK, 1000 SBK, Best of the Best. L’organisateur local a sa vedette du jour, le public est ravi, la tirelire du pilote se remplit, le pilote s’entraîne et tout le monde est content (les autres concurrents les ont car ils n’ont pas le sentiment de se faire voler la place comme certains européens pourraient l’avoir !).
En clair, il y a moins de dix pilotes non payants en AMA. Certains parmi eux gagnent leur vie grâce à leur sponsors personnels et aux primes. D'autres équilibre leurs comptent. Les autres transpirent chaque mois en payant leurs dettes ou continuent de vivre de la générosité de la famille ou des amis.
Un rêve ou un espoir possible en 2017?Si la télé revenait, si Kawaaki et/ou Honda revenait, ce pourrait être alors de 2 à 8 pilotes payés supplémentaires. Une possibilité de doubler le quota actuel!
Certes ce n'est pas fait mais nombre sont déjà calés dans leurs starting-blocks!
Par effet de bord, presque tous les autres teams et pilotes bénéficieraient de cette aspiration par le haut.
Cela serait très bien pour les acteurs intraUS mais quid des ambitions internationales?
Autrement dit, est-ce que cela suffira à voir de nouveaux champions américains capables de gagner en MotoGP? Rien n'est moins sûr car mettre en oeuvre un système le permettant depuis le sol américain ne demande pas deux ou trois ans mais bien plus. Si on considère qu'une génération d epilote fait 5 ans aujourd'hui, il en faudrait sans doute deux pour avoir un solde positif permanent.
Ce serait sans doute tout ausis efficace en termes de résultats dans les GP que de mettre un paquet de fric sur les tables espagnoles en y envoyant un contingent de têtes machant du chewingup avec encadrement adapté pendant 5 ans mais.. et après? Il faudrait recommencer et faire comme nous autres, donner des subventions en échange d'un ecusson fédéral sur une combinaison. Les USA ont pour eux d'avoir une taille critique telle qu'ils peuvent le faire. Les pays européens, pris isolément, ne le peuvent pas. Pas la peine de demander à la FFM, qui fait déjà bien plus et mieux qu'avant, la même chose que font l'AMA et MotoAmerica, ce n'est pas possible. Principe de réalité encore.
La plupart de pit-laneurs étant français sans expérience de vie américaine, il est possible que vous vous demandiez si la moto de vitesse est populaire aux USA.
La réponse est facile : NON !Personne ne la connaît, elle l’est encore bien moins connue qu’en France. Pas de revue de motos dans les kiosques des grands centres commerciaux. 500 000 bikers à la Bike Week de Daytona et à peine 15 000 pour Daytona 200 (mais 80 000 pour le Supercross la même semaine). Les jeunes américains ne connaissent pas leurs pilotes nationaux et même pas Rossi.
Bien entendu, à notre échelle hexagonale, ce marché parait immense mais si on le rapporte à celui de l’Europe (je ne parle pas seulement de la taille des populations mais de leur niveaux de vie respectifs ; celui de l’américain moyen est bien plus élevé que celui de l’européen moyen).
Cruelle réalité ? Non, juste la réalité qui permet de ne pas trop facilement pleurer sur notre sort.
Certains peuvent se demander, alors pourquoi avoir aidé un pilote français à y aller ?Je le laisserai donner ses raisons personnelles s’il le souhaite mais d’une façon plus générale, il faut savoir qu’il est plus facile de faire une carrière professionnelle aux USA qu’en Europe où à part les GP (la grande centrifugeuse de talents et tout aussi grand aspirateur d’argent), le BSB (ouvert aux jeunes ?) et certains « petits notables » (ce n'est pas pahoratif pour moi) de quelques championnats nationaux ou EWC il n’y a pas de salut.
Avec MotoAmerica, les USA sont aujourd’hui le seul pays occidental (laissons l’Espagne de côté car le cas est unique et non duplicable) à avoir dit et commencé à mettre en place quelque chose d’envergure pour permettre à la fois à des jeunes pilotes américains de viser le monde et de permettre à plus de pilotes évoluant sur le territoire national de gagner vraiment leur vie en courant. L’objectif est loin d’être atteint mais à trop attendre qu’il réussisse pour le regarder enfin avec intérêt il pourrait être trop tard car il sera mort ou alors aura pris tant de vitesse que monter en marche devienne très difficile.
Je terminerai par un aparté sur Daytona 200, la course US emblématique pour les européens. Elle est encore célèbre auprès des fans américains même si elle a perdu de son lustre. Elle n’est plus au calendrier du championnat AMA pour des raisons de gué-guerres entre groupes influents des sports mécaniques américains. Elle pourrait ne pas y revenir car son format (200 miles= 320 km, 2 ravitaillements-changements de roue, pneus spécifiques pour le banking) la rend peu compatible avec le championnat AMA/MotoAmerica qui se veut très normé et proche des standards internationaux (accord MotoAmerica-Dorna oblige).
La question est va-t-elle survivre ? Pour l’instant on peut dire que tant DMG (le groupe qui détient le Supercross, le Flat-track, le NASCAR, le circuit de Daytona lui-même et qui avait encore la vitesse AMA avant de la « céder » à MotoAmerica) a envie de faire « chier les autres » en donnant des primes colossales pour une simple course, Daytona 200 vivra. Ensuite, personne ne sait.
Enfin, souhaitons à Valentin Debise qui dort dans la chambre d'à côté (un pilote, c'est comme un chat, ça dort tout le temps
), un succès à la hauteur du challenge qu'il entreprend. Les bonnes cartes sont dans ses mains, à lui de les abattre à bon escient. Si tel était le cas, je serais fier d'y avoir apporter une petite pierre.