Gabriel Pons, pilote MetisS aux 24 heures du Mans 2024, mais pas que ...!
Chaque début de saison c'est la même histoire : on ronge son frein pendant des mois en attendant que ça commence, puis les évènements nous pètent littéralement à la tronche ! 2024 ne fait évidemment pas exception et vous allez vous en rendre compte à la réception de cette newsletter que je commence à rédiger une semaine seulement après celle du FSBK.
En route donc pour les 24h du Mans 2024 avec le Team MetisS ! La der' des der' avec la génération actuelle de motos MetisS MS18 à moteur Suzuki après 22 saisons de fidélité à la marque. Pour l'anecdote, les noyaux de l'équipe technique surnomment la MS18 "la MetisS qui va vite" tant les progrès réalisés ont été conséquents depuis l'apparition du concept actuel. Les récents résultats d'un certain pré retraité de la vitesse (ma pomme pour ceux qui suivent) au FSBK en attestent d'ailleurs. Malgré ses performances irréfutables la MS18 n'a jamais obtenu d'excellent résultat en endurance, la faute à des ennuis mécaniques et des chutes répétées en course. Fort de ce constat, inutile de vous dire à quel point la motivation qui anime l'ensemble de l'équipe à l'aube de ce baroud d'honneur est énorme !
De mon côté la semaine ne commence pas de la meilleure manière, puisque j'arrive lundi après-midi sur le circuit en proie d'un vilain rhume contracté deux jours avant, et qui a mis mes batteries à plat. Heureusement la course n'a lieu que 5 jours plus tard, et je suis résolu à me ménager le plus possible pour récupérer d'ici là. D'ailleurs, le Team demande à Ludo et moi de sacrifier de notre temps de roulage sur les essais privés du lendemain afin de donner la priorité à notre jeune équipier Allemand Max Schmidt qui n'a bénéficié que de très peu de roulage sur le sec aux pré essais. Premier repas à l'hospitalité le soir venu, rillettes du boucher qui vont bien, une tisane de grand-mère et au lit !
Mardi matin, première sortie en piste avec la première séance libre. Il fait un froid de canard, et personne ne se bouscule pour prendre la piste à 9h ! Etant donné que je suis le pilote le plus expérimenté de l'équipe, je suis désigné comme souvent pour aller essuyer les plâtres et prendre la piste en premier. La séance se passe comme sur des roulettes et je signe le meilleur temps de l'équipe dans mon 2e run en 1.38'7, ce qui nous place à une excellente 10e place scratch. Ludo, Max et Joe ne sont pas en reste et notamment Max qui poursuit son apprentissage de la MetisS à une cadence impressionnante puisqu'il est déjà en 1.39 à l'issue de son 3e run ! La moto fonctionne à merveille dans ces conditions fraîches, et nous sommes tous les quatre très satisfaits du feeling général. Seul le frein moteur un peu inégal nous cause quelques problèmes, ce qui n'est pas logique puisque nous roulons avec le réglage qui avait donné pleine satisfaction lors du FSBK. Avant de chercher midi à 14h, l'équipe se penche sur l'embrayage et décide de le remplacer par un neuf. Pour la petite histoire, la moto que nous utilisons pour les essais est équipée d'un moteur issu d'une moto épave achetée à la casse et affiche plus de 40.000km au compteur. Forcément l'embrayage d'origine a connu des jours meilleurs...
On reprend la piste l'après-midi avec le bonheur de découvrir un comportement à nouveau normal du frein moteur, l'équipe avait parfaitement vu juste en incriminant un défaut mécanique sur l'embrayage. Comme dit Manu le Team Manager : d'abord les basiques, et après on se prend la tête. Malheureusement, la météo s'en mêle et l'après-midi est marquée par plusieurs averses qui limitent énormément le temps de roulage. Au jeu des averses et des quelques drapeaux rouges, on manque la fenêtre de performance optimale de la piste et on finit loin au classement. Pas grave dans la mesure où notre setup de base est très bon et chacun de nous quatre a déjà un bon rythme et un bon feeling. Au cumul des deux séances et grâce au chrono du matin, on pointe quand même dans le Top-15 ! Voilà une semaine de course qui commence de la meilleure des manières, moral au beau fixe. Il est maintenant 17h30, le "Tea Time" est offert par les Britanniques Joe et son accompagnant Will avec leur fameux "Yorkshire Tea", spécialité de Harrogate la ville dans laquelle Joe habite. Je peux vous dire que ce thé est plus fort en bouche que n'importe lequel de ceux que l'on connaît dans l'hexagone !
Le soir c'est découverte de la gastronomie Française pour Max et Joe avec un succulent boeuf bourguignon mitonné par l'équipe d'intendance. Et ce fût encore un succès pour l'équipe vu que les deux ont adoré et même pris du rab !
Mercredi journée sans roulage mais tout de même chargée avec les vérifications techniques, la parade des motos vers le centre-ville du Mans, la rencontre avec le public sur la place des Jacobins, le briefing et la photo de famille. Vraiment, on s'est pas ennuyés ! Etant donné qu'aucun de mes équipiers n'était motivé pour conduire la moto pendant la parade, je me suis désigné pour m'y coller. Il faut dire que la perspective de rouler sur une route étroite et bosselée avec cette moto disposant d'un angle de braquage ridiculement faible a refroidi tout le monde, d'autant que chacun d'entre nous a déjà failli s'étaler au moins une fois en sortant du box après s'être fait surprendre par la butée de direction. Malgré tout ce fût un moment particulièrement sympa avec énormément de monde sur le bord de la route, et ça a été une fois de plus très appréciable de mesurer le capital sympathie dont la MetisS jouit devant le public Manceau. Autre moment sympa : après avoir perdu le contact avec le peloton à force de saluer le public, il m'a fallu mettre une grosse louche de gaz pour ramarrer. Me voilà ainsi à 140km/h dans les allées du Mans limitées à 50, sur une moto non homologuée et sous les yeux des deux motards de la police présents derrière moi pour fermer le cortège... Presque jouissif !
Autre moment intense et chargé en émotion : séance photo devant la maison de JBB située juste à côté des Jacobins, en présence de son épouse Thérèse. C'était beau de voir la MetisS béquillée juste sous la fenêtre du bureau dans lequel elle a été imaginée et conçue. La rencontre avec Thérèse a aussi été un chouette moment, surtout dans la mesure où cette dernière garde un oeil très attentif sur les évolutions du projet dont feu son mari était moteur. L'espiègle Thérèse nous a d'ailleurs régalé d'anecdotes sur son implication passée, tout à tour mise à contribution par JBB comme chaudronnière, technicienne en composites ou encore comme mannequin d'essais aérodynamiques.
Le soir venu, c'est un vrai défi gastronomique qui se présente pour Max et Joe avec au menu : de la langue de boeuf. Au début on leur a rien dit, et on a patiemment attendu d'avoir leur verdict pour leur révéler ce qu'était cette viande tendre et goûtue. Le pauvre Max a failli tomber de sa chaise, clairement il ne savait pas que ça pouvait se manger !
Jeudi matin grosse journée avec la séance d'essais libre officiels, la première séance de qualifications et les essais de nuit. La séance libre se déroule à merveille, et nous décidons en fin de séance de passer la moto en setup qualif' + pneus tendres pour voir où on se situe. Je suis désigné pour l'exercice mais à force de sacrifier mon temps de roulage depuis le début de la semaine je manque un peu de rythme pour exploiter correctement les pneus tendres. Je signe malgré tout un chrono en 1.38'4 suffisant pour enlever la 14e place scratch de la séance. Le rythme de Ludo est également excellent et du côté de Max, les progrès continuent à un rythme effréné. Tout semble en place pour exploser nos records personnels en qualif' !
Plus tard dans l'après-midi c'est l'heure de la séance de qualification 1 et pour la première fois de la semaine la météo se décide à se mettre au beau, avec des conditions ensoleillées et 15 francs degrés dans l'air. Je me met un peu de pression dans la mesure où je n'ai jamais réussi à franchir la barre du 38 au Mans et la séance à venir semble toute désignée pour enfin y arriver. Je commence à avoir bien récupéré de ma crève, je me sens en pleine possession de mes moyens et la MetisS n'a jamais été aussi rapide : clairement c'est le moment ou jamais ! Et quelle fût ma joie quand le chrono embarqué affiche 1.37'9 au 3e et 4e passage sur la ligne... Je rentre aux stands heureux et surtout soulagé d'y être enfin arrivé ! Tout l'équipe partage d'ailleurs cette joie avec moi puisque c'est également le premier chrono en 37 d'une MetisS au Mans, et ce n'est pas fini !
Max part à son tour pour sa séance et semble être d'emblée dans d'excellente dispositions pour améliorer encore le record que je viens tout juste de fixer. Il égale mon chrono dès le début de séance, et finit par améliorer quelques tours plus tard avec un superbe 1.37'5 ! Nouvelle effusion de joie dans le box et les regards se tournent ensuite vers Ludo qui est le prochain à partir, et qui est sur le papier notre pilote le plus rapide sur un tour. D'autant qu'il a déjà roulé en 37'4 au FSBK avec sa R1 dans des conditions moins favorables que celles du jour. Malheureusement, ça veut pas faire : Ludo est coincé dans le trafic sur les premières boucles et quand il semble enfin en mesure de poster un très bon chrono il se fait piéger à l'entrée du chemin aux boeufs et part à la faute. Résultat un chrono en 1.38'6 en étant très gêné par le trafic dans le tour précédent la chute. Reste Joe dans la 4e et dernière séance, qui bat à son tour largement son record perso en 1.39'3 et revient au box avec un large sourire sous son casque. Fin de la première salve de qualifications en fanfare ! Seul Ludo est évidemment très déçu mais toute l'équipe lui remonte le moral : collectivement on a fait le job de la plus belle des manières !
Le soir venu pour les essais de nuit, l'équipe décide d'envoyer Ludo en premier afin qu'il balaye de sa tête le mauvais souvenir de la chute en qualif. La stratégie fonctionne impeccablement, Ludo est de suite dans de bons chronos, avec un feeling retrouvé. Max découvre les joies de faire virevolter la MetisS autour du circuit Bugatti de nuit, et je confirme à mon tour mon bon état de forme en étant instantanément dans un bon rythme. Après cette séance une nouvelle fois très positive, cette longue journée est enfin terminée. On partage le repas à l'hospitalité avec cette fois-ci un plat de lasagnes à tomber, puis on file se coucher pour être prêts pour la Q2 le lendemain matin.
Vendredi matin, Q2 et le froid glacial est retour. Je suis en piste peu après 10h avec l'espoir d'améliorer mon chrono de la veille mais rien n'y fera : les conditions se sont trop détériorées et je manque énormément de grip à l'accélération. Je finis la séance sans prendre de risques avec un meilleur en 1.38'4 et passe le guidon à Max qui n'améliorera pas non plus. Seul Ludo, bien décidé de faire oublier sa chute de la veille parvient à améliorer pour preuve qu'il aurait lui aussi mérité un 37 en Q1. Il "échoue" en 1.38'4, soit deux dixièmes plus vite que la veille alors que Max et moi sommes plus de 5 dixièmes moins vite. Même sanction pour Joe qui en termine avec un meilleur en 1.39'7.
L'après-midi venue on en profite pour décompresser de ce début de semaine sur les chapeaux de roues, et pour notre plus grande joie nous héritons de la 14e place sur la grille avec un chrono moyen en 1.37'7. Un véritable exploit au vu du niveau du plateau actuel de l'endurance mondiale dont la progression est exponentielle depuis quelques années. Juste avant la visite des stands, nous organisons un briefing avec l'équipe et les pilotes pour préparer la stratégie de course et lors duquel nous nous attardons particulièrement à faire profiter à Max de notre expérience des courses de 24h. Cela va être sa toute première course d'endurance, et on essaie de lui faire prendre la mesure de la difficile tâche qui l'attend. Pour ma part, cette course marque ma 11e participation aux 24 heures du Mans et je ne connais que trop bien les conditions de course auxquelles nous allons devoir faire face : comme en 2023, ça va être 24h d'enfer dans le froid et le vent ! Décidemment malchanceux au tirage, je suis désigné pour prendre le départ. Ce sera mon 8e départ en 11 participations et même si c'est un moment intense et grisant, je suis aujourd'hui lassé par la fatigante et interminable procédure qui précède : si Max ou Ludo avaient voulu partir à ma place, je leur laissais bien volontiers.
Après d'aussi bons essais, on sait que les chances de Top-10 en course n'ont jamais été aussi grandes. Il va falloir être malins et ne pas faire d'erreurs mais l'opportunité est plus que jamais là, prête à être saisie.
Mise en épi à 13h55 pour un départ à 15h : comme je vous le disais, cette procédure est complexe et inutilement longue. Sur la grille, nombreux sont ceux à passer nous tirer leur chapeau pour nos performances en qualifications. On dirait que de plus en plus se mettent à penser que le concept MetisS marche ! De mon côté je fais ce que je peux pour me concentrer et préparer mon départ : en principe je suis pas mauvais au départ type le Mans et j'espère secrètement pouvoir maintenir notre belle position sur la grille au cours du premier relais. A ce niveau l'équipe ne m'a donné aucune consigne, j'ai carte blanche. 14h45, la grille est enfin évacuée et le jour le plus long de l'année est sur le point de commencer !
Le départ est donné à 15h pétantes, ma course à pieds n'est pas mauvaise mais une fois au guidon la moto ne démarre pas... J'ai beau appuyer sur le démarreur, la MetisS ne daigne pas s'ébrouer ! Une longue poignée de secondes plus tard, le moteur démarre enfin et je suis relégué dans les profondeurs du classement. Je vois littéralement rouge d'avoir gâché de la sorte notre belle qualification, et attaque bille en tête pour essayer de remonter après avoir bouclé le premier tour en 36e position. En piste les conditions sont compliquées : le grip est faible et je suis très rapidement en délicatesse avec le pneu arrière. Malgré ça je n'arrive pas à maîtriser mon état d'agacement et continue d'attaquer à outrance : quelques tours plus tard je suis revenu à la 22e place.
Et hélas, mille fois hélas au cours du 6e tour je perds brusquement l'arrière à la sortie du garage vert. La moto raccroche violement et m'envoie les quatre fers en l'air séance tenante. Au moment ou je vois la MetisS s'écraser au sol sous moi dans une gerbe d'étincelles, je sais que c'est fini : je viens de ruiner tous nos espoirs et tout le travail que l'équipe a mis des mois a accomplir. Difficile de décrire à quel point je m'en veux de m'être collé bêtement par terre à la 10e minute d'une course longue de 24 heures. J'ai beau vous vendre mon expérience, ma lucidité, mes 10 participations précédentes sans chute en course, je viens de commettre l'irréparable à peine la course entamée. Rien que d'écrire ces quelques lignes, j'en tremble encore de rage !
La réception est assez violente, je me claque fort la hanche et le pied droit par terre. Fort heureusement je ne suis pas blessé (kudos à IXS) et me relève immédiatement. Je cours comme un dératé vers la moto, la relève, la redémarre et la ramène tant bien que mal au box avec le bracelet droit cassé. L'équipe est impressionnante de rapidité pour réparer : j'ai à peine le temps d'enlever mes gants et boire un coup que la MetisS est prête à repartir. En bon équipier Ludo a sauté dans son cuir, enfilé son casque et me propose de repartir. Chose que je refuse, préférant assumer mon erreur et aller laver ma mauvaise conscience en piste.
Nous avons perdu 9 minutes dans l'opération, et sommes donc quasiment à la dernière place du classement : en 46e position sur 48 équipages engagés. Le relais qui suit est un calvaire : je me refais le film de la chute en boucle et pilote la moto machinalement. Mon rythme n'est pas mauvais pourtant, mais mon cerveau m'inflige le déroulé des erreurs que j'ai commise et qui m'ont conduites au tapis. Je suis maintenant dans la situation que je crains et que je déteste : passer 24 heures dans les tréfonds du classement à rouler sans autre but que celui de rallier l'arrivée... Cinquante minutes plus tard je ramène la moto a Ludo, en lui disant de faire gaffe au vent et au peu de grip qu'offre la piste.
A ma descente de moto, je présente tant bien que mal de vaines excuses à l'équipe et file voir Cyril l'osthéo pour constater et réparer les quelques dégâts physiques liés à la chute. Il n'a fallu que quelques minutes de plus pour que Lisa revienne du box au pas de course avec la mauvaise nouvelle suivante : Ludo a chuté a son tour. Le vieil adage se confirme une nouvelle fois : les emmerdes ça vole en escadrille. Le pire dans tout ça c'est que l'on est loin d'être au bout de nos surprises.
A priori piégé par ce que l'on suppose être le vent violent combiné au réservoir plein, Ludo a perdu l'avant au chemin aux boeufs sans comprendre pourquoi, alors qu'il ne forçait pas et surtout de la même manière que jeudi en qualifications. Cet incident va mettre un énorme coup au moral du pauvre Ludo, en proie à une grosse perte de confiance après ces deux chutes identiques dont il n'arrive pas à comprendre la cause. Max de son côté est médusé : Ludo et moi lui avons rabattu les oreilles la veille pour lui dire que l'important en course c'était de ne pas se coller par terre et qu'il valait mieux rendre la main que de risquer la chute, tout ça pour nous voir tâter tour à tour du bitume dès les première encablures de la course... Quelle ironie ! Heureusement Max ne se laisse pas abattre par ce début de course calamiteux et prend à son tour la moto pour son premier relais qu'il réalisera à un train d'enfer... et sans faire d'erreur.
Avec la chute à Ludo, plus un problème technique que nous avons eu suite à cette 2e cabriole, on perd 26 minutes supplémentaires qui nous ancrent solidement dans les profondeurs du classement. En l'espace d'une heure et demi, nous avons perdu 25 tours sur la tête de course. En temps normal, j'aurais été furieux contre Ludo mais bizarrement pas cette fois. C'est idiot mais le fait de pouvoir partager les torts me permet de calmer la colère que j'éprouvais contre moi-même et m'enlève une partie du poids qui pesait sur ma conscience. On est d'accord c'est complètement con et totalement contre-productif mais comme j'ai toujours été transparent dans mes compte rendus je vous partage quand même ces pensées qui m'ont accompagné pendant ce début de course.
Passée cette première salve d'emmerdes, on déroule notre course comme prévu sans autre problème notoire pendant les douze heures qui suivent. La difficulté dans laquelle nous sommes alors est plus sous-jacente et prend deux formes distinctes : je suis à nouveau confronté à un problème d'ampoule qui apparait dans la paume de ma main gauche à cause des vibrations de la moto, et Ludo est en absolue souffrance. Il souffre physiquement de l'épaule après l'avoir tapée contre le vibreur dans sa chute, et il souffre mentalement car il est en totale perte de confiance sur la moto. Il n'arrive plus à rouler dans un rythme correct, et chaque relais devient une véritable punition pour lui.
Aux alentours de la mi-course et après un quatrième relais purgatif, Ludo n'en peut plus et son seul souhait est de s'arrêter là. Je suis également en phase avec cette idée : vu le temps perdu en début de course, on va continuer à se faire mal pendant 12 heures de plus pour un résultat forcément décevant. Et de toutes façons vu l'état de ma main gauche, c'est impossible pour moi de continuer à rouler à deux avec seulement Max. Lisa file donc au box pour faire un exposé de la situation à Manu qui nous rejoint immédiatement à la semi pour faire le point. Pour lui c'est clair : tant que la moto est roulante, pas question de s'arrêter. Il faut aller au bout pour l'équipe et pour les partenaires. Grâce à un savant mélange de fermeté et d'empathie, Manu nous remobilise et nous convainc de ne pas lâcher le morceau. On s'accorde sur le plan suivant : Ludo sautera son prochain relais afin d'avoir 3 heures de repos devant lui pour dormir et il repartira ensuite en pneus neufs. Pas totalement convaincu je dois l'admettre, je saute sur la moto pour mon 5e relais et tiens toujours un rythme correct malgré l'infâme douleur qui s'installe peu à peu au creux de ma main gauche. L'équipe expose la nouvelle stratégie à Max à sa descente de moto, qui opine du bonnet sans aucun signe d'agacement. Ce jeune Allemand est impressionnant, rapide et solide comme un roc. Tout juste 21 ans, je tiens à le rappeler !
Passée cette phase et alors que j'en termine avec mon 6e relais, je suis soulagé de reconnaître la silhouette de Ludo au loin, prêt à prendre mon relais alors que je descend la voie des stands pour rejoindre le box. La stratégie a marché : Ludo a carrément repris du poil de la bête et roule à nouveau dans un très bon rythme alors qu'un froid glacial s'est installé dans la nuit Mancelle.
La monotonie de la nuit s'installe et tout à l'air remis sur les rails pour essayer d'aller au bout. Hormis une panne sèche sur une petite erreur d'inattention de Max qui ne nous a pas fait perdre beaucoup de temps, il ne nous est plus rien arrivé de fâcheux. Pourtant les conditions de piste restent délicates et piégeuses : il fait 2 degrés dans l'air ! Sur la moto c'est pas facile, il me faut 2 à 3 tours au début de chaque relais pour seulement réussir à me réchauffer et il faut être perpétuellement sur le qui-vive pour ne pas aller à la faute. Ce froid va d'ailleurs faire des ravages dans le peloton, avec de très nombreuses chutes tout au long de la course. Au petit matin, la MetisS tourne toujours comme une horloge : Ludo est au guidon, il va vite et se permet même de signer son meilleur temps personnel à ce moment là ! Alors que le jour se lève et qu'on commence à y voir clair, je suis surpris de voir que nous avons réintégré le Top-20 et qu'une place dans le Top-15 est possible vu le rythme que l'on arrive a maintenir.
La matinée du dimanche se déroule sur cette même dynamique retrouvée, et les sourires commencent à apparaître à nouveau dans les casques des pilotes dont le mien. En revanche je commence à avoir de grosses difficultés à piloter à cause de ma main gauche qui ne marche quasiment plus. Je suis dans l'absolue incapacité d'utiliser les doigts de ma main à l'exception du pouce et de l'index. Cela me pose évidement d'énormes problèmes de mobilité et de précision notamment sur les nombreux changements de direction du circuit Bugatti. C'est d'ailleurs très dommage parce qu'à part ça je suis physiquement plutôt frais, mais contraint d'inexorablement ralentir la cadence pour ne pas prendre le risque de chuter sur une approximation lors d'un changement de direction.
Aux alentours de midi et alors que j'en termine avec mon 9e relais, je demande d'ailleurs à Apple le responsable de la stratégie s'il est possible d'abréger mes souffrances et confier mon dernier relais entier à Ludo ou Max. Demande difficile, Ludo et Max sont eux aussi très fatigués mentalement et physiquement mais un compromis est finalement trouvé pour ne me faire faire qu'un ultime demi relais avant la fin. Cela me convient parfaitement et je suis vraiment soulagé. C'était sans compter sur l'ultime rebondissement que va subir le pauvre Ludovic seulement quelques minutes plus tard : en arrivant au freinage du raccordement, le tube de demi guidon droit casse net et Ludo en totale perte d'équilibre vient percuter le carénage avec le levier de frein avant. Sanction immédiate : la moto fait un salto avant, envoyant Ludo valdinguer par devant. La chute est très violente mais Ludo se relève et ramène très rapidement la moto au box avant d'être escorté au centre médical pour un check-up obligatoire.
Pendant que tout cela se passe, je suis à la semi en train de reposer. Ma quiétude est soudainement interrompue par Greg qui monte les escaliers en courant avec ces mots "Ludo est au médical, il nous faut un pilote !" Max ayant pas mal souffert de son dernier relais, il s'est endormi sur la table de kiné alors que Cyril est encore en train de le masser... Je n'ai pas le choix, je saute dans mon cuir et enfile mon casque pour encore un relais de plus.
Une fois au guidon je suis inquiet pour deux raisons : j'espère que Ludo n'est pas blessé et surtout j'espère qu'il est toujours en capacité de rouler. Si on doit se fader les 2h30 de courses restantes à deux, je vais vraiment pas rigoler ! Sur la moto c'est l'enfer, je pilote littéralement à une main dans des chronos évidemment très lents mais je n'ai pas d'autre solution. Cinquante minutes de purgatoire plus tard, Max repart après moi.
Je retrouve Ludo dans la semi et à mon grand soulagement il n'est pas blessé. Mieux encore, il est prêt à repartir. Problème : il a tapé le casque par terre, le médical l'a gardé pour ne pas qu'il soit ré utilisé et... Il n'en a pas d'autre, la faute à une réappro chez Shark sur les casques FIM. Plus pourri comme situation y'a pas. Petit point sur la situation avec l'équipe on décide d'envoyer Lisa au médical armée de son plus beau sourire pour expliquer ce qui nous arrive et essayer de récupérer le casque a Ludo. Comme à son habitude, Lisa fait des miracles et revient avec le casque à la main 10 minutes plus tard. On va y arriver...
Un peu plus d'une heure avant l'arrivée, il me reste un demi relais à faire en serrant les dents avant de laisser finir la course à Max. Malgré les récents évènements nous sommes stabilisés en 18e position, ce qui a une allure d'exploit vu le déroulé de la course. Dommage sans le demi guidon pété et la chute de Ludo qui en a résulté on pouvait facilement intégrer le Top-15 à la régulière. Je retrouve d'ailleurs Ludo à la semi après mon dernier relais qui peste encore après ce fâcheux incident : "on aurait pu être contents et faire 14 ou 15e, et ben non même pas !"
Dimanche 15h, Max franchit enfin la ligne d'arrivée en 17e position scratch. Dans les rangs MetisS les sentiments sont mitigés : on est heureux d'avoir été au bout et de ne pas avoir lâché le morceau mais on est déçus d'avoir une fois de plus manqué un très bon résultat. Un sentiment que je partage totalement, d'autant que cette fois les seuls responsables sont les pilotes avec les deux chutes en début de course qui ont ruiné nos chances.
Je suis personnellement d'autant plus déçu que la suite de la course s'est plutôt pas mal déroulée pour moi avec un rythme rapide et solide à part à la toute fin où ma main ne me permettait plus de piloter normalement. Déçu aussi de ne pas avoir réussi a enfin apporter un résultat convaincant à la MS18 et son équipe. Tout le monde l'aurait largement mérité, mais l'endurance est d'une infâme ingratitude.
Je termine ce compte-rendu avec la satisfaction de voir l'équipe MetisS toujours plus motivée et professionnelle année après année, et comme à chaque fois je leur tire mon chapeau pour leur volonté, leur abnégation et leur résilience à toute épreuve. Franchement les gars, bravo a tous et respect. Mention spéciale à mes supers équipiers Ludo le courageux, Max le rapide et Joe le rigolo. Cela a été un bonheur de partager le guidon avec trois chics types comme eux et j'espère sincèrement que nous réussirons à reconduire cet équipage.
Maintenant vivement la suite avec l'apparition très prochaine de la toute nouvelle MetisS-Honda MS24. Un tout nouveau concept pour la poursuite de ces palpitantes aventures !
Merci à tous d'avoir suivi, merci et bravo à ceux qui auront tout lu et à très bientôt.