Pit-Lane.Biz : Bonjour Gilles et merci de prendre sur vos vacances pour répondre à nos questions. Notre forum est constitué de pas mal « d’anciens » qui connaissent, au moins partiellement, votre parcours. Pourriez-vous leur rafraîchir la mémoire et instruire les plus jeunes ?Gilles Bigot : J’ai commencé tardivement, tout d’abord en faisant la coupe Aspes et promosport 125cc.
Début des années 80, j’ai aidé un de mes amis et il a gagné la coupe Aspes, ensuite je laisse tomber la course pour faire la mécanique en 250cc avec avec Jacky Onda en 86, Jean-Michel Mattioli en 87, Bruno Bonhuil en 88, Carlos Cardus en 89/90/91/92, Alberto Puig en 93 et 94.
Là, j’intègre le HRC pour m’occuper d’Alex Criville jusque fin 2001.
En 2002, je vais chez TECH3 pour travailler avec Sylvain Guintoli, Alex Barros en 2003 et Norick Abe en 2004.
En 2005, je retourne en 250 avec Hiroshi Aoyama. En 2006, Sebastian Porto arrête et Martin Cardenas prend le relais mais se casse la clavicule. David De Gea termine la saison.
2007 se passe avec Julian Simon et Aoyama. En 2008, je rejoins le team CIP d'Alain Bronec.
Pit-Lane.Biz : Lorsque vous avez travaillé avec tous ces pilotes au sein de tous ces teams, avez-vous toujours été un spécialiste des châssis, comme aujourd’hui, ou avez-vous aussi « mis les mains » dans les moteurs ?Gilles Bigot : Je ne me considère pas comme un spécialiste des châssis. Mon travail, avant tout, est de trouver le meilleur compromis pour que nos pilotes se sentent en confiance pour repousser leurs limites, donc j’ai une attitude assez pragmatique.
Je regarde la situation dans son ensemble, et j’évite de tomber dans l’excès. Je ne suis ni ingénieur, ni « tuner », ou préparateur, donc je ne suis pas sur les circuits pour réinventer la moto qui a été conçue par des gens compétents.
Il y a les ingénieurs d’un coté et puis ceux qui font de l’exploitation sur la piste; je suis dans ce domaine là, mais sur un circuit il y a la technique de la machine et puis il y a celui qui va la piloter! Il ne faut pas accorder plus d’importance a la technique qu’au pilotage et vice versa; il faut là-aussi trouver le compromis.
Une bonne communication entre pilote et l’équipe est très importante. Si un pilote se trouve en confiance avec son équipe, il sera plus détendu, moins stressé, donc dans son pilotage nous allons retrouver ces éléments. Un pilote stressé sur sa moto peut même générer une sensation de dribble.
Pour ce qui concerne les moteurs, durant toute la période Honda NSR250, NSR500, matériel d’usine Honda; "on ne touche pas!"
Lorsque je suis arrivé au CIP, Albo Iotti s’occupait déjà des moteurs donc aucune raison pour moi de mettre mon nez dedans et puis, comme cela, nous sous sommes partagées les tâches afin d’être plus efficaces. Même chose en 2009 et maintenant en Moto2.
Crédit photo: Thierry Leconte Pit-Lane.Biz : En 2008, vous devenez directeur technique du Team FFM Honda GP 125, qui fait courir Louis Rossi, sur une Honda qui n’est plus développée.
Qu’est-ce qu’il manquait à la Honda pour se mêler à la lutte pour les places d’honneur ?Gilles Bigot : Bonne question! En 1999, Azuma gagne à Jerez sur une Honda avec un temps total de 42’25’’.
En 2005, Simoncelli, sur Aprillia, gagne avec un temps total de 42’27’’. Lai, sur Honda, termine 3ème à 1’5.
En 2008, le rythme s’accélère et Corsi gagne avec un temps total de 41’46.
Tout le monde pense donc que les Honda "c’est fini" mais en 2009, à Valencia, surprise; M.Schrotter termine 5ème.
L’Aprillia a toujours été dans un stade de développement car des teams riches payaient le prix fort pour avoir le meilleur matériel. A cette même période, Honda avait déjà arrêté tout développement, mais cela n’explique pas tout.
Les teams riches ont donc fait accélérer le système; tout le monde voulait des Aprilia ce qui a certainement eu un effet pervers sur la motivation des pilotes Honda qui ne voyaient pas d’évolution au niveau moteur, châssis ou aérodynamique.
En fait les Aprillia étaient toutes des motos « d’usine » alors que la Honda est restée un compétition-client .
Un autre élément vient certainement du fait que la Honda a une admission par clapet et un châssis moins rigide.
Avec une Honda, on peut se trouver hors trajectoire ou pas vraiment dans les tours, mais la moto continue de fonctionner normalement.
Avec une Aprilia plus « exigeante », c’est peu être plus délicat; le pilote va devoir donc être plus vigilant et va mieux rouler.
Pour être plus clair, il est plus difficile d’aller vite avec une Honda qu’avec une Aprilia.
Crédit photo: Thierry Leconte Pit-Lane.Biz : En 2009, même scénario en 250cc au sein du CIP Moto. Même causes, mêmes effets ?Gilles Bigot : Une fois de plus, nous courrions avec du matériel qui avait été pensé avant tout pour accéder a la compétition a un prix nettement plus modique que l’Aprillia; châssis BB d'occasion et moteur Honda RS250 Kit HRC.
Shoya et Valentin pilotaient des motos qui, une fois assemblées coûtaient moins de 100.000 Euros.
A cette période, l’équivalence chez Aprilla, c’était entre 400.000 et 500.000€.
Shoya, tout comme Valentin, ont terminé plusieurs fois dans les points devant des pilotes équipés de meilleur matériel. Difficile de comparer une Honda faite sur du basique à une Aprillia puissante et qui possédait la dernière technologie électronique en terme d’aide au pilotage.
Pit-Lane.Biz : En 2010, enfin, vous vous retrouvez à pied d’égalité avec les autres concurrents. Malgré le fait que le CIP dispose d’un des plus petits budgets de la catégorie, vous débutez l’année en fanfare avec la victoire de Shoya. Comment avez-vous vécu cette période ?Gilles Bigot : Shoya avait un talent naturel pour piloter une moto. Avant toutes choses, il aimait la technique du pilotage et il était assez objectif.
Pour l’anecdote, au Mugello en 2009, pendant les essais qualifs, il se fait « déboîter » dans la ligne droite par Lüthi. Malgré la vitesse de pointe supérieure de Lüthi (environ 15km/h) et sa méconnaissance du circuit (en 2009, seulement 3 séances d’essais pour Shoya qui découvre tout les circuits) Shoya fait quelques tours derrière lui.
Après la séance, comme d’habitude, nous parlons de la mise au point de la moto et puis, à la fin de notre conversation, je lui demande s'il n’était pas trop frustrant d’être derrière Lüthi.
« Ha… tu fais bien de m’en parler car j’allais oublier de te demander de changer les rapports de la moto » me dit-il, « le 2ème rapport est trop court à la sortie de la chicane. La 2ème de Thomas est plus longue et comme je dois changer de rapport plus tôt que lui, je perds du temps ».
Il savait que nous ne pouvions pas combler la différence de vitesse dans la ligne droite mais il savait que nous pouvions, et qu’il pouvait, réduire un peu l’écart en améliorant la mise au point et en s’améliorant, et non pas en se lamentant sur le manque de vitesse de pointe.
Si je raconte cette anecdote, c’est pour que vous puissiez mieux comprendre ce qui c’est passé en début d’année.
Notre budget n’étant pas énorme, nous devions faire attention aux dépenses donc les pneus doivent durer longtemps et les pilotes doivent s’habituer aux changements de comportement de la machine que nous découvrions également.
Donc tous nos essais se font dans le but de bien découvrir cette nouvelle catégorie et d’optimiser notre package qui, nous le savons déjà, ne pourra pas beaucoup évoluer fautes de moyens plus importants.
La suite bien sûr a été une surprise! Pour moi, terminer dans le Top 6 à la première course avec Shoya était un objectif réaliste. Bien que le connaissant déjà assez bien, Shoya, lui, il avait une autre idée en tête...
Cela a été un grand moment, on ne peut pas le nier, mais bon, il fallait garder les pieds sur terre.
Pit-Lane.Biz : En Moto2, où rien n’est permis sur le moteur, vous devriez être comme un poisson dans l’eau. Pourtant Alain Bronec m’a confié que vous ne vous éloigniez pas trop des réglages de base. N’est-ce pas un peu paradoxal ?Gilles Bigot : Cela peut le paraître pour certaines personnes, et au premier jour des essais à Barcelone ,lorsque Shoya a réalisé le meilleur temps, l’équipe Suter est venu voir ce que nous avions fait; ils étaient à la fois surpris et ravis!
Pour la petite histoire, à Barcelone, nous avions seulement nos motos avec quelques pièces détachées, mais pas de ressorts de fourche ni d’amortisseurs; il y avait seulement ce qu’il y avait sur la moto. Bien sûr, nous avons procédé à quelques réglages mais assez limités.
Pit-Lane.Biz : Puis c’est le drame qui nous a tous horriblement choqué. Je ne souhaite pas m’appesantir là-dessus…
Avez-vous envisagé de tout arrêter ?Gilles Bigot : Ce qui est arrivé nous rappelle à tous que c’est un sport dangereux et que le risque zéro n’existe pas. Cela n’a rien à voir avec la sécurité. Nous avions tous oublié que ce genre de choses peut arriver.
Les évènements qui ont suivi le décès de Shoya ne nous ont pas laissé le temps de penser à l’arrêt. Les jours suivants, passés en Italie aux cotés des parents de Shoya, nous on donné le temps nécessaire pour parler entre nous et évoquer le rêve de Shoya; nous voulions avant tout que les gens se souviennent de lui en pensant à sa personnalité et à ce qu’il nous a apporté. Shoya aimait la course, il aimait la vie et il voulait faire partager sa joie de courir avec tout la monde.
Tous les messages reçus à la suite de son décès prouvent que sa joie de vivre et sa spontanéité avait touché un énorme public dans le monde entier.
Pit-Lane.Biz : L’arrivée de Kenan est une excellente chose pour le CIP, d’autant que le champion du monde Supersport avait des offres à priori plus rémunératrices.
Cette reconnaissance de votre travail doit vous faire sacrément plaisir, non ?Gilles Bigot : Oui, c’est certain! En même temps, il va nous obliger à adopter une attitude différente; en un mot, nous allons passer d’une extrémité à une autre. Nous étions dans une logique d’apprentissage... mais Kenan ne vient pas pour apprendre!
Pit-Lane.Biz : A propos du pilotage spectaculaire de Sofuoglu, Valentin Debise, un de vos anciens pensionnaires et un de nos membres, nous expliqué que la Moto2 réclamait plus un pilotage en finesse, avec une bonne vitesse de passage en virage, comme en 125cc, plutôt qu’un pilotage de Supersport, plus brutal dans les déclenchements et à la remise des gaz.
Kenan a-t-il commencé à modifier son pilotage ?Gilles Bigot : Il en est conscient. Après la qualification de Valence, il a admis qu’il manquait d’expérience avec les pneumatiques; en Supersport, il avait 3 pneus qualif à sa disposition.
Pit-Lane.Biz : Techniquement, les différents échappement et conduits d’admissions font-ils vraiment une différence et y a-t-il encore quelque chose à gagner de ce côté-là ?Gilles Bigot : C’est de l’optimisation, donc en moto2, où 1 dixième peut vous faire perdre jusqu'à trois positions, il vaut mieux être très vigilant.
Pit-Lane.Biz : On attribue généralement le titre d’Elias a sa régularité et son sens tactique, en plus de son talent. A quoi attribuez-vous les coups d’éclats de Iannone ?Gilles Bigot : J’aimerais avoir la réponse afin de pouvoir essayer de l’appliquer! Iannone est très rapide et, encore maintenant, il est difficile de tout expliquer.
"Il ne freine pas très fort mais, par contre, il accélère très tôt et il a une très bonne vitesse de passage en courbe". Ces commentaires viennent de Mike Webb (directeur technique MotoGP et Moto2) qui nous a confié cela car, lui, il a accès à l’acquisition de données de Iannone.
Suite aux différentes polémiques, il se devait d'apporter des réponses.
Pit-Lane.Biz : Le team CIP Moto sera encore « dans les petits papiers » de Suter en 2011. Attendez-vous de petites ou grosses évolutions, et dans quels domaines?Gilles Bigot : J’ignore si nous étions dans les petits papiers de Suter!
Suter avait naturellement besoin d’être proche des équipes qui roulaient avec sa Moto2. Je suppose que les équipes très fortunées ont certainement demandé des traitements de faveur, donc il n’est pas impossible de voir des Suter pas toutes exactement semblables.
Dans l’immédiat, d’après les infos reçues, la plus grosse évolution vient du châssis; ensuite tout va dépendre de nos résultats.
Pit-Lane.Biz : En plus de votre travail sur les motos dans la journée, le soir vous vous occupez des sites du CIP, de son Facebook, etc. La passion ne vous quitte jamais ?Gilles Bigot : Je suis passionné mais j’en connais qu’ils le sont plus que moi! Au niveau du team cela fait beaucoup, oui, mais c’est la condition pour pouvoir avancer.
Le monde évolue et la manière de communiquer aussi. Le jour où nous allons avoir le budget nécessaire, il y aura peut être quelqu’un pour le faire.
Pit-Lane.Biz : Y a-t-il quelque chose que vous souhaitiez rajouter, pour nos internautes ?Gilles Bigot : J’imagine que ce sont tous des passionnés de moto et de compétition.
Je n’ai de leçons à donner a personne. Je ne peux seulement que parler de mon expérience, de mes expériences. Même si nous aimons la même chose, et faisons la même chose, nous vivons tous des expériences différentes et beaucoup de personnes ont réussit de belles choses, à leurs manières, avec très certainement peu de moyens.
Pour les plus jeunes, et même très jeunes, qui veulent accéder à la compétition, la seule chose que je puisse conseiller est de bien observer, sur la piste, les pilotes qui roulent tres vite.
Je dis bien sur la piste, pas dans le paddock; cela peut être une source d’inspiration.
N’hésitez pas à demander aux « vieux », car dans la course, il y a l’avant, le pendant et l’après course, et malheureusement pour beaucoup, c’est après la course qu’ils réalisent ce qu’ils auraient dû faire pendant.
Valentino Rossi connaît très bien ses prédécesseurs et leurs histoires. Les biographies, quelques fois, aident à mieux connaître les gens, que cela soit en compétition voiture ou moto.
Les attitudes d’il y a quarante ans n’ont pas vraiment changé; les hommes et l’époque, oui, mais pas la détermination qui anime l’individu. Une fois de plus cela peut être une bonne source d’inspiration.
Pit-Lane.Biz : Merci infiniment Gilles. On vous souhaite une excellente saison 2011 !Gilles Bigot : Merci a toi Marc et bonne année 2011 à tous.
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