Dans la guerre des peuneus qui opposait Sergai à Julien lors du GP du Japon, j'ai usé d'une pirouette pour détendre l'atmosphère mais cette histoire m'a tracassé. Pourquoi qu'on dit les Michelin ça marche pas, hein ? pourquoi Sergai passe des heures pour ces histoires à la gomme ?
Alors, à la veille de ce GP, je suis z'été à la pêche aux infos et j'ai trouvé deux sources.
Mon premier informateur, qui va se révéler très critique vis à vis de Michelin, me dit "pour comprendre la situation , il faut remonter à 2008"
Donc allons –y ..
EN 2008, Michelin sort d'une période michelinesque avec une série de succès dans la nouvelle formule motogp, mais depuis quelques années Bridgestone est venue se mêler à la bagarre – et les bib qui prenaient de très haut l'arrivée de ces bridés caoutchoutés ont commencé à déchanter. D'abord bridge a bossé d'arrache pied, puis il y a eu ce vol de pneus Michelin dans le paddock, dont on pense que les slicks disparus n'ont pas été perdus pour tout le monde. Moyennant quoi, malgré quelques aléas, les bridge se sont mis à fonctionner de mieux en mieux et Stoner a porté le coup de grâce en remportant le titre avec sa Ducati, semant le doute dans l'esprit de Rossi, qui a voulu rouler en bridge. Le HRC a commencé à lâcher bib, son partenaire historique, on a vu un moment les deux Honda d'usine utiliser des gommes différentes, l'une en bib, l'autre en bridge. Mais chez mimich, me dit mon informateur, on ne se remettait pas en cause, on restait persuadé d'être les meilleurs et on continuait à pratiquer la politique maison, à savoir le secret absolu et l'utilisation de l'arme fatale qu'était le C3M
Parenthèse : le C3M kèzaco ?
La nouvelle machine C3M de Michelin constitue une innovation mondiale en matière de fabrication de pneumatiques. Elle permet non seulement de fabriquer rapidement et à moindre coût des pneus différents mais, également, de s'adapter en un rien de temps à la demande.
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Cette machine était le prolongement de celles déjà utilisées au moment de l'arrivée du radial en 1985 : dès le soir des essais, les infos recueillies sur la piste sont envoyées à Clermont, à savoir granulométrie et adhérence du circuit, météo, conditions d'adhérence et d'usure des boudins constatées aux essais, et dans la nuit on fabrique à deux ou trois exemplaires pour les top pilotes d'usines les pneus qui vont leur permettre de gagner la course le lendemain. Un avion est prêt à décoller dès que les pneus sont sortis du four. et ils seront livrés sur le circuit le dimanche matin. C'est une organisation colossale qui fonctionne parfaitement
D'ailleurs il me revient une anecdote lié à ça : Christian Sarron va m'en vouloir de parler comme ça de son unique victoire en 500 mais voilà l'histoire telle que je l'ai observée.
Au vu des essais du gp d'Allemagne à Hockenheim en 1985, l'équipe Michelin a concocté un pneu pluie qui tue dans la nuit pour Spencer. Manque bol, au warm up dimanche matin, Frédo n'est pas venu; il avait dit à son confident Kanemoto : s'il pleut fort, pas la peine de me réveiller, je ne roulerai pas. Les gars de Michelin sont aussitôt allés proposer leur pneu à Mamola qui a refusé de l'essayer, car ça l'a un peu vexé de récupérer un truc délaissé par Spencer. Du coup, pour la course, ils l'ont donné à Sarron, car ils mouraient d'envie de voir comment il allait marcher. La suite on la connait, Christian est remonté sur Spencer qui était en tête et l'a déposé dans le stadium avec une aisance époustouflante. Il était certes bon sous la pluie, il aurait probablement gagné cette course, mais son aisance ce jour là devait beaucoup au fait qu'il était le seul à avoir ce pneu arrière.
Bref quelques vingt ans plus tard, Michelin se reposait sur ses lauriers en ricanant malgré les progrès de Bridgestone qui a fait des pieds et des mains pour que la Dorna interdise la pratique et l'utilisation du C3M, ce qu'elle a fini par faire et là notre Bib a fait gloups ! il perdait un avantage technique et psychologique de taille. ET mon interlocuteur qui ne mâche pas ses mots dit :"La Dorna a instauré le pneu unique pour se débarrasser de Michelin. Opération réussie puisque bib, vexé, n'a même pas répondu à l'appel d'offre, mais ça leur était resté en travers de la groge. Depuis Michelin est à l'arrêt et depuis leur retour en motogp, ils patinent dans la semoule."
Ce jugement sévère n'est pas tout à fait exact, mais il est vrai que tout le monde se pose des questions.
Il faut dire aussi que bib a toujours eu une façon de procéder qui au mieux déconcertait ses partenaires, au pire les énervait. Course après course, bib amenait des pneus et disait "ici il faut ça, là dans ces conditions c'est ça qui va marcher" mais sans autres précisions. Avec l'arrivée de la télémétrie les ingénieurs des teams ont voulu connaitre un peu plus de choses sur leurs pneus mais Michelin faisait la sourde oreille et continuait de dire "on vous fait gagner ? alors nous emmerdez pas à vouloir trop de détails techniques sur la composition des gommes, des fibres, du nombre et de la disposition des couches etc .. ce qu'on vous dit doit vous suffire et contentez vous des références qu'on vous donne, point !"
Certains n'y vont pas par quatre chemin et appellent ça l'arrogance Michelin, dont mon premier interlocuteur qui ajoute:
"Le bordel actuel avec les pneus est la faute de Michelin, c'est clair que l'histoire absurde de Rossi disqualifié pour avoir fait 1 tour de trop aux essais est moins la faute de Dorna que de bib qui a exigé cette norme. "
"Moi ajoute-t-il, je trouve invraisemblable que Michelin ose dire "on garantit ce pneu pour 10 tours" et impose qu'on n'aille pas au delà, et personne ne bronche."
Il devançait ma question, à savoir que si j'étais pilote, j'aurais qu'une envie, essayer de voir ce que donne le pneu quand je l'emmène au delà de la limite de péremption, bref ...
Les propos de mon informateur me semblant un peu durs à l'encontre de mon bib chéri, j'ai donc cherché une autre source, d'autant que notre conversation s'était terminée sur :
" en plus les teams satellites payent une fortune des lots de pneus dans lesquels il y en a toujours quelques uns qui ne vont pas. quand ils arrivent à les repérer, ils se débrouillent pour ne pas les utiliser et, comme les pneus non utilisés sont remis dans le pot commun réparti par tirage au sort à la veille du GP, ils se refilent la patate chaude en quelque sorte !"
Bigre ...
Donc je cherche à recouper ces infos et tend l'oreille vers un autre petit gars qui a lui aussi quelques infos.
Il est moins critique vis à vis de bib, mais dans un premier temps me confirme tout ce que l'autre m'a dit, me confirme l'histoire du C3M et surtout me dit que cette année bib n'arrive pas à fabriquer un pneu avant à la hauteur de l'arrière. Résultat, les adhérences sont déséquilibrées et les bécanes instables comme pas possible.
"Mais alors je lui dis, faudrait un gars qui roule à la Spencer en chargeant que l'arrière tout le temps ?"
- Certes certes, répond-il, sauf que la géométrie des motos et les progrès réalisés sur les pneus ne le permettraient guère, mais Marquez a le style le plus approchant, d'où ses succès."
Je lui fait remarquer ceci : qu'on les aime ou qu'on les déteste, il est difficile d'attribuer leurs dernières chutes à la seule incompétence de Rossi et Lorenzo, car on ne peut pas dire que ce soit des abonnés à la gaufre de leur faute, donc leur problème de pneu avant est effectivement bien réel.
Mais mon interrlocuteur est optimiste : "chez Michelin ils bossent comme des malades, ils vont y arriver, en plus cette année presque tous les essais préliminaires se sont déroulés par mauvais temps, donc ils ont pas pu développer les pneus pour le sec assez vite , mais ils vont y arriver, c'est sûr."
Cela dit, il est obligé de convenir que l'histoire des gommes limitées en nombre de tours c'est agaçant, mais il me rappelle que c'était déjà comme ça du temps de bridge et me remet en mémoire la course où les pilotes devaient changer de moto à mi course et où Marquez a été disqualifié parce qu'il a fait un tour de trop.
Voilà en gros ce que j'ai pu récolter, histoire d'encourage Sergai à poursuivre ses chères études et mettre Julien en accord, et je m'en suis conclu pour moi même personnellement que, dans le fond, depuis bien longtemps déjà, on en est arrivé à une limite technico-informatico-technologique qui met les motos de grand prix dans une impasse. La seule façon de continuer malgré tout c'est de coller de plus en plus d'additifs au règlement pour essayer de l'adapter à chaque nouvelle difficulté au cas par cas. Et ça nuit forcément au déroulement des courses. Le facteur pneu influe désormais dans des proportions qui faussent le jeu et là Sergai a raison d'essayer d'y voir clair. Oui mais, ça a toujours été le cas me direz vous ? certes mais ce que les pilotes redoutent le plus en matière d'adhérence, c'est pas le rebond (ouaf ouaf) mais bien l'imprévisibilité et cette année, on a battu tous les records.
La chorale du paddock peut donc reprendre en choeur :
serre les jambes, voilà qu'ça tangue,
serre les cuisses, les cuisses, les cuisses,
voilà qu'ça glisse...