Pourquoi une coque ?Un cadre de moto, comme tout châssis de véhicule, doit être suffisamment solide pour supporter sans dommage les efforts auxquels il est soumis. Il doit aussi présenter une rigidité suffisante pour répondre aux besoins de la tenue de route.
En même temps, pour des raisons évidentes et multiples, on souhaite qu'il soit le plus léger possible.
Pour cela, il n'y a pas de secret : à part le cas de la traction pure (pour lequel ça n'a pas d'importance),
à poids égal un rond plein est moins performant qu'un tube épais et de faible diamètre, qui lui-même l'est moins qu'un tube mince de gros diamètre – que ce soit en flexion, en torsion, et aussi en compression dès que la pièce est un peu longue.
De ce point de vue, la situation idéale c'est quand le tube est le plus grand possible, au point de servir d'enveloppe à la charge transportée : c'est le cas du fuselage d'un avion.
Même s'il n'est pas possible d'arriver à une solution aussi radicale dans le cas qui nous intéresse (la "charge transportée" chevauche la moto
), on peut s'arranger pour que le châssis serve de conteneur pour une partie de celle-ci, en l'occurrence le carburant.
C'est le cas en Formule 1 depuis 1962 (Colin Chapman – Lotus 25).
Idée reprise avec succès en 1967 pour la moto par Eduardo Giro (Ossa de Herrero).
L'intérêt d'une coque est doubleD'abord, en répartissant la matière le plus loin possible du centre de la section, elle optimise les rapports rigidité/poids et résistance/poids.
On bénéficie alors d'une plus grande rigidité, accompagnée d'un gain de poids.
Bonus : puisque la coque fait office de réservoir, on économise en outre* le poids de celui-ci.
* je ne vois pas pourquoi je devrais laisser à bubu le monopole des jeux de mot vaseux
Technique d'assemblageDans l'industrie navale, où les tôles sont épaisses, l'assemblage se fait par soudure.
Dans l'industrie aéronautique, où les tôles sont minces, l'assemblage fait toujours appel à des rivets.
Par rapport à la soudure, le rivetage présente l'avantage de ne pas affecter les caractéristiques du métal, de ne pas entraîner de déformations et de ne pas induire de contraintes internes.Tôle alu + tube carré acierDans la sélection des options, la recherche de l'optimisation de la performance, exprimée par les rapports rigidité/poids et résistance/poids, est évidemment très importante.
Mais ce n'est pas le seul critère : généralement, on doit également prendre en compte le coût de fabrication – pas toujours, mais dans notre cas, si.
Ce n'est pas tout : même si on a la chance de bénéficier d'un budget permettant d'ignorer l'aspect financier, on ne pourra pas pour autant adopter une solution ultra-performante si celle-ci nécessite de faire appel à des sous-traitants travaillant habituellement pour Airbus ou pour Boeing.
Dans le meilleur des cas, ils demanderont un délai de plusieurs mois. Mais, plus probablement, ils déclineront simplement une commande aussi petite.
D'où le choix retenu : tôle d'alu (alliage 2024) rivetée sur tube d'acier carré.(Le "squelette" en acier a été fabriqué par Lucien Cordonnier, le constructeur des motos Corki).
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Section de coque Si on fait abstraction des tubes carrés, le moment d'inertie de la coque en alu autour de l'axe Y (celui qui concerne le calcul des contraintes et de la rigidité vis-à-vis des forces situées dans le plan de la moto) est donné par la formule suivante :
Ce qui donne dans notre cas :
À ceci vient s'ajouter l'apport des quatre tubes.
Mais, pour bien le comprendre, examinons d'abord la figure ci-dessous qui représente trois poutres (ou trois planches) superposées.
Sous l'action de la force F, celles-ci se déforment et, en fléchissant, glissent les unes sur les autres.
Dans ce cas, les rigidités des trois planches s'additionnent : l'ensemble est simplement 3 fois plus rigide que ne l'est une seule planche.
Maintenant, collons ensemble ces trois planches avant de les soumettre à la force F : elles vont alors constituer une seule poutre, de même largeur, mais 3 fois plus haute.
Comme nous le dit la formule un peu plus haut, le moment d'inertie de cette poutre – et donc sa rigidité – sera cette fois 3
3 = 27 fois plus grand que celui d'une seule planche.
Donc, quand on empêche ces trois planches de glisser les unes par rapport aux autres, on multiplie la rigidité de l'ensemble par 27/3 = 9.(Si on avait pris 5 planches au lieu de 3, la rigidité de l'ensemble aurait été multipliée par 25 ; et par 100 dans le cas de 10 planches !)
Explication : quand une poutre fléchit sous les efforts qui lui sont appliqués, la partie située à proximité du rayon extérieur s'allonge tandis que la partie située à proximité du rayon intérieur se raccourcit. La raideur de la poutre vient de la résistance qu'elle oppose à ces extensions et compressions.
Mais ceci n'est possible que si, en même temps, la poutre résiste au cisaillement pour empêcher les différentes couches de glisser les unes sur les autres.
Pour s'en convaincre, il suffit de penser à la facilité avec laquelle on peut plier une rame de papier de 5 cm d'épaisseur une fois qu'elle n'est plus dans son emballage.
Dans le cas de notre coque, ce sont les tôles latérales qui prennent en charge ce cisaillement. Ce qui permet aux tubes de participer très efficacement à la rigidité et à la résistance de l'ensemble – infiniment plus qu'ils ne le feraient en l'absence de tôle.
En effet, les tubes travaillent alors en compression-extension, et non en flexion, et la contribution de chacun d'eux au moment d'inertie global est égale à l'aire de sa section multipliée par le carré de sa distance à l'axe OY : I
Y = (20
2 – 18
2) x 79
2 = 474 316 mm
4Et pour l'ensemble des 4 tubes : I
Y = 474 316 x 4 = 1,90·10
6 mm
4Alors que, pour un tube isolé, on aurait : I
Y = (20
4 – 18
4) / 12 = 4585 mm
4et pour les 4 tubes : I
Y = 4585 x 4 = 18 341 mm
4La liaison assurée par la coque (et, plus particulièrement, par les tôles latérales) multiplie par plus de 100 la rigidité apportée par les tubes.Remarque : Comme les tubes sont en acier (module de Young : E = 210 000 N/mm
2), métal environ 3 fois plus rigide* que l'alu (alliage 2024 – E = 72 400 N/mm
2), leur contribution à la rigidité de la structure est 3 fois plus importante que ne le suggèrent les seuls chiffres des moments de surface.
Comme, en même temps, ils sont aussi 3 fois plus lourds** que s'ils étaient en alu, autant dire qu'ils sont carrément surdimensionnés.
*210 000 / 72 400 = 2,90
**7,8 / 2,77 = 2,82
Mais, comme je l'ai déjà dit, le choix de tubes en acier résultait de considérations pratiques (budget, disponibilité de sous-traitants). Si je n'avais considéré que l'aspect "performances" (rapport rigidité/poids), j'aurais opté pour des tubes en alu.
Rien que ceci aurait permis de gagner 3 kg supplémentaires, ce qui aurait porté à 6 kg (au lieu des 3 kg mesurés) le gain de poids par rapport au Morbidelli d'origine.
Et ceci sans altérer sa très nette supériorité en matière de tenue de route.