[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Fin de semaine dernière, une bombe tombait dans les rédactions. En effet, après le passage de la F1 à Canal Plus, c’était au tour de la moto de disparaître du paysage télévisuel gratuit français.
En effet, le groupe TF1, propriétaire de NT1, décidait de supprimer la diffusion sur la NT pour la confier exclusivement à Eurosport, sa chaîne sportive payante.
Catastrophés par cette nouvelle, des téléspectateurs passionnés ont lancé une pétition mais quel poids peut-elle avoir face à la décision des gestionnaires du groupe TF1 qui ont des comptes à rendre ? Probablement aucun. Bien placé pour avoir un avis éclairé sur la situation puisque jusqu’à vendredi dernier il était le consultant de la chaîne pour le MotoGP, Laurent Corric est revenu, pour nous, sur une situation où l’immobilisme de certains, pourrait mettre à mal l’ensemble de la moto en France.
« GPi : Laurent Corric, comment a-t-on pu en arriver là ?
Avant tout, c’est une bien triste nouvelle pour la Moto qui, en France, n’a plus aucune exposition en clair.
Ensuite, avant de répondre à la question, je dois dire que tout ce que je raconte ici n’est qu’une interprétation personnelle de la situation que nous subissons puisque personne n’a eu la correction de me téléphoner pour m’annoncer la nouvelle.
Tout ce que je sais, je le sais par internet, par la presse et par des journalistes qui comme vous, m’appelez pour prendre des nouvelles.
Je dirais d’abord qu’il faut savoir que pour Eurosport, qui est une chaîne payante, il est intéressant d’être la seule chaine à diffuser le MotoGP. Ca facilite grandement la politique de vente des abonnements puisqu’ils sont incontournables.
Ensuite, contrairement à ce que j’ai pu lire ces jours-ci sur internet, je ne pense pas que ce soit une question d’audience car, que je sache, elle était bonne et en progression par rapport à 2011.
Il faut également savoir que les audiences du MotoGP étaient supérieures à la moyenne de la chaîne et à celles enregistrées avant et après le Grand Prix.
Je pense donc que ce n’est pas un problème d’audience mais plutôt de coûts.
NT1 est une chaîne commerciale qui doit rendre des comptes et je pense que le ratio entre l’investissement et l’audience n’était pas satisfaisant.
Si à la place du Grand Prix, vous mettez une série ou un feuilleton qui a déjà été largement amorti et qui donc, ne coûte rien, ça fera peut-être un peu moins d’audience mais le ratio ne pourra être que meilleur.
GPi : Quand vous parlez des coûts, vous ne parlez certainement pas des coûts de production…
Non, bien entendu puisque dans ce cas-ci, ils étaient dérisoires (c’est la Dorna qui s’occupe de la production), je parle du coût des droits.
Je ne sais pas si c’est la faute de la Dorna ou d’une autre partie mais en poussant le raisonnement à l’extrême, on peut imaginer qu’avec des droits moins onéreux, peut-être que NT1 aurait continué à le diffuser. Mais pour le coup, le ratio coût audience n’est pas valable !
Et à l’heure où NT1, comme toutes les chaînes du groupe TF1, est financée exclusivement par la publicité, il faut faire des économies.
GPi : MotoGP, F1 échelle différente mais galère identique ?
C’est exactement ce qui s’est passé avec la Formule1. Un Grand Prix de F1, entre les droits et les coûts de production, on avoisine les deux millions d’euros par Grand Prix pour faire péniblement trois millions de téléspectateurs alors que si tu le remplaces par une série américaine quelle qu’elle soit et qui coûte dix à cent fois moins cher, elle va faire quatre millions de téléspectateurs.
Comme les gens qui décident sont des gestionnaires, ils décident de couper là où des économies peuvent être réalisées. Ce ne sont pas des décisions de passion, ce sont des décisions de raison.
C’est triste pour nous parce que nous, on raisonne en tant que passionnés. On va se réjouir du retour de Rossi sur la Yamaha, on va se demander ce que Marquez fera sur la RCV mais les gens qui décident, ce sont des gestionnaires qui ont des comptes à rendre et qui regardent le chiffre en bas à droite et malheureusement, c’est pour ça que nous en sommes arrivés-là.
GPi : Tout de même, ne pensez-vous pas que le MotoGP s’est fermé au monde par un certain radicalisme là où d’autres sports ont justement cherché à s’ouvrir ?
Je ne crois pas parce que je pense pas et c’est justement ce qu’il y avait de bien à constater dans la diffusion par NT1. L’audience faisait entre 400 et 500.000 téléspectateurs et on savait que là-dedans, il y avait 150000 purs et durs, des passionnés qui, s’il fallait se lever à trois heures du matin, mettaient le réveil et étaient derrière leur poste de télévision. Il restait alors entre 300 et 350.000 téléspectateurs qui sont venus à la moto parce que c’était gratuit, que c’était un spectacle qui leur plaisait et ces gens-là ne sont pas des fans de moto.
Cet après-midi - et je vous jure que c’est vrai – j’étais en ville avec mes enfants et un homme m’arrête dans la rue et me dit : « c’est vous qui commentez les Grands Prix sur NT1, c’est super et j’espère que cette saison… » Je l’ai arrêté de suite en lui signifiant l’arrêt de la diffusion des Grands Prix et ce monsieur était catastrophé ! Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas motard, qu’il n’est pas un passionné de moto mais qu’il trouvait juste que c’était un super spectacle. Ces personnes-là, nous avions réussi à les intéresser mais jamais ils ne prendront leur abonnement pour regarder la moto.
Les purs passionnés, ils ont déjà eurosport. Ils veulent tout savoir, regarder toutes les séances…ils représentent un public acquis.
NT1 et l’offre gratuite avait l’avantage de toucher des gens qui n’iront pas voir la moto si jamais il faut payer parce que ces gens-là ne sont pas des fans. En revanche, ils étaient intéressants parce qu’ils avaient un œil neuf sur la discipline.
GPi : et pourtant, vous étiez en progression constante…
J’en étais à ma troisième saison de MotoGP et au début, nous étions entre 250 et 300.000 téléspectateurs et en 2012 nous avons clôturé avec 450 ou 500.000. On n’a jamais cessé de progresser mais le problème avec des chaînes comme NT1, c’est qu’elles ne sont pas là pour avoir un retour sur investissement dans cinq ans, il faut un retour immédiat.
Il faut savoir que quand la chaîne a été rachetée par TF1 à AB, les droits du MotoGP faisaient partie de la corbeille de mariés et il restait un an de contrat, donc jusque fin 2011.
Face à l’augmentation de l’audience, ils ont renouvelé les droits pour 2012 et même si elle a continué à augmenter, elle ne l’a pas fait dans une mesure assez grande pour justifier qu’elle renouvelle les droits pour 2013.
Nous sommes dans une période de crise où les chaînes doivent opérer des choix et pour le MotoGP, c’est le passage à la trappe qui a été retenu.
GPi : Donc, que ce soit la Dorna ou les chaînes, il y a quelqu’un qui se montre trop gourmand…
Je ne veux pas accuser la Dorna car je ne suis pas là pour ça. Il faut savoir que la France est un marché très particulier où il y a ceci de paradoxal que, il y a 25 ans, lorsqu’il y avait 4 ou 5 chaînes de télévisions, on voyait de la moto tout le temps que ce soit du cross, de la vitesse ou de l’endurance et maintenant qu’il y en a des dizaines, il n’y a plus une seule émission moto en clair. Il n’y a plus une seule exposition gratuite de la moto dans le paysage télévisuel français.
Il ne faut pas se leurrer, c’est inenvisageable d’avoir le MotoGP sur des chaînes comme TF1, France2, M6… parce que dans le meilleur des cas, même en travaillant bien le produit, l’audience ne dépassera jamais le million et demi de téléspectateurs. Ce sont, bien entendu, des audiences trop faibles pour de telles chaînes.
En revanche, ce sont des audiences intéressantes pour les chaines de la TNT mais on en revient toujours à ce problème du montant des droits. Est-ce que la Dorna est consciente de ça ? Je n’en sais rien.
GPi : Il manque peut-être quelques grands noms français en catégorie reine ?
Très sincèrement, je pense en effet qu’il nous manque un ou deux français qui se battent aux avant-postes en MotoGP.
C’est indispensable d’avoir des porte-drapeaux et si nous avions des français qui se battaient devant, ce serait certainement plus facile de susciter l’intérêt pour la discipline. Lorsque vous avez ces moteurs, tout se met en route, les magazines s’y intéressent, les journaux aussi, les télés, bref c’est l’ensemble des médias qui se mettent en marche.
Si la moto marche si bien en Espagne ou en Italie, c’est certes parce qu’il y a une culture de la moto
Mais également parce qu’il y a des pilotes qui se battent pour la victoire tous les dimanches.
GPi : D’accord mais un pays comme l’Espagne bénéficie aussi d’une fédération à la pointe et innovatrice. L’Italie est en train de l’imiter, mais en France, on a l’impression d’être en retard d’une guerre ! Pourtant, des circuits, il y en a dans l’hexagone.
C’est évident que sur le fond vous avez raison mais la moto, en France, souffre énormément du fait que depuis un moment, elle n’est pas politiquement correcte.
Je suis le premier à le déplorer parce que je suis motard avant tout mais c’est une réalité à laquelle on n’échappe pas.
J’ai pu le constater avec l’organisation du ‘Scorpion Master’. Cette année, il aura lieu au Paul Ricard, un endroit mythique et donc pas en plein milieu de la brousse. Pourtant, lorsque je contacte des partenaires potentiels, la plupart hésitent à s’engager parce que c’est de la moto. Le deux-roues n’est pas porteur, il n’est pas dans l’air du temps. Malheureusement, à l’heure où le monde parle d’écologie, de développement durable ou de nuisances sonores, la moto dérange.
GPi : Le constat semble donc implacable…
Ce que je déplore dans tout ça, c’est qu’il n’y ait pas une mobilisation générale de toutes les personnes concernées par le sujet.
Depuis vendredi, j’ai eu un nombre incalculable de personnes au téléphone et tout le monde est là en train de se lamenter, de pleurer mais moi, j’ai un peu envie de dire : « ok, mais on fait quoi maintenant ? »
Parce qu’au fond, si on veut passer son temps à se lamenter, moi je veux bien le faire aussi, il n’y a aucun problème mais après, qui fait quoi ?
Je me demande si un jour, quelqu’un qui est réellement touché par ce problème va élever la voix et pousser toutes les personnes qui sont dans son cas à se fédérer.
Ce serait pourtant un des seuls, si pas le seul moyen d’avoir du poids car à l’heure actuelle, la moto est mal vue. Pire encore, elle n’est plus diffusée, or, il y a des constructeurs et des équipementiers qui ont besoin de cette publicité. Si on ne se mobilise pas, la moto est « morte » et il ne nous restera plus que nos yeux pour pleurer.
Ce week-end, j’ai vu qu’il y avait une pétition qui circulait sur internet pour soutenir la diffusion, en clair, de la moto. Mais si vous me le permettez, je trouve ça complètement insensé que ce soit les fans, les téléspectateurs, qui doivent se mobiliser pour soutenir la moto.
Face à ce constat, je n’ai qu’une chose à dire, « mais que fait l’industrie ? »
C’est certain, tout le monde pleure, mais qui fait quoi ? Qui se bouge ? Personne si ce n’est le client, un comble !
Très honnêtement, je ne me réjouis pas que la diffusion s’arrête sur NT1, mais ma femme et mes enfants bien parce que je serai là 18 week-ends de plus par an. Fondamentalement, moi je passerai à autre chose et ça ne va pas changer ma vie mais il y en a qui ont énormément à perdre dans cette histoire et je pense notamment à l’industrie de la moto.
GPi : on est quasiment, pour la moto, à un point de non-retour ?
Très sincèrement, je pense que s’il n’y a pas une prise de conscience du monde de la moto et une volonté de travailler main dans la main, on ne s’en sortira pas.
Quand tu prends les chiffres de l’industrie de la moto, c’est catastrophique. Les concessionnaires ferment les uns après les autres, les accessoiristes sont dans le rouge… Nous sommes arrivés à un point peut-être pas de non-retour, mais en tout cas à un point où il est l’heure de se serrer les coudes. Ce n’est pas en ne faisant rien et en économisant tous les cents possibles, qu’on sortira de la crise et certainement pas en diminuant encore l’exposition télévisuelle.
Je regrette donc cette absence de mobilisation de la part des acteurs concernés et pour qui l’absence de médiatisation pourrait coûter très cher ».
Stay tuned !
Rejoignez-nous sur [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]