Le lestage des motos, en Grand Prix, n’est actuellement plus pratiqué qu’en Moto3 ou un poids minimum de 148 kilos est imposé (pilotes, moto et équipement). Les pilotes n’atteignant pas cette limite minimale sont alors lestés.
Pour le Moto2 et le MotoGP, en revanche, seule la machine se voit soumise des obligations pondérales.
Cet état des choses ne manque pas, dans la classe intermédiaire, de provoquer de vives polémiques. A un point tel que la Commission des Grands Prix a d’ailleurs décidé de se saisir du sujet et d’en débattre à Valence.
Le point de vue des pilotes grands et lourds est évidemment de dire que dans une classe où tout le monde roule avec le même moteur, ils se trouvent nettement désavantagés par rapport aux petits formats.
En attendant les conclusions de la Commission des Grands Prix et afin de vous apporter le meilleur éclairage possible sur la problématique, nous avons interrogé plusieurs acteurs différents pour vous permettre de mieux comprendre les enjeux de cette discussion.
Michael Bartholemy
Tout d’abord, nous avons recueilli le témoignage de Michael Bartholemy, le team manager de Marc VDS, en Moto2, qui se pose en grand défenseur du lest sur les motos.
Il faut dire que le manager belge vit une situation bien différente avec ses deux pilotes puisque si Mika Kallio est petit et léger, Scott Redding, en revanche, est certainement un des pilotes à souffrir le plus de sa taille et de son poids.
« Par essence même, dans un championnat du monde, les pilotes du monde entier peuvent s’aligner ce qui signifie qu’on peut retrouver de petits japonais, comme de grands européens.
A partir du moment où on met à disposition des pilotes le même moteur, avec la même puissance, on doit trouver une règle pour le poids. Sinon, les gens qui sont plus lourds n’ont aucune chance.
Quand tu vois qu’aujourd’hui, une Formule1 fait quasiment 700cv et que malgré ça, ils procèdent tout de même à un rééquilibre.
Chez nous, en Moto2, on a une moto qui fait 120cv et ça n’intéresse personne.
Pour moi, c’est la seule chose qui n’est pas juste en Moto2. On ne fait pas de moyenne et dans une catégorie où on veut mettre tout le monde sur un pied d’égalité, ça va à contresens ».
Oui mais techniquement, le petit léger qui va être lesté, ne va-t-il pas être plus désavantagé qu’un grand dans la situation actuelle où il n’y a pas de lestage ?
« Attention, je ne dis pas qu’il faut prendre la différence entre Redding et Koyama, parce que là, on parlerait d’un lest de 25 kilos. On doit prendre les trente-deux inscrits, les mettre sur une balance avec la moto, leur cuir et leur casque et puis calculer une moyenne. Un pilote comme Marquez aurait peut-être eu 5 kilos de lest, pas 15 kilos ».
Mais, des petits et des grands il y en a toujours eu dans le championnat.
« Les instances ne veulent pas le comprendre et lorsqu’on en parle, ils me disent « oui mais Valentino Rossi, lui aussi, était grand ».
C’est vrai que Valentino Rossi était grand mais il ne roulait pas en Moto2 mais bien en 250cc. La différence est fondamentale.
Avec les résultats de cette saison, si nous étions toujours au temps de la 250, Scott Redding, la saison prochaine, aurait reçu une des meilleures motos du plateau avec laquelle il aurait été avantagé.
Mais ça, avec le Moto2, ce n’est plus possible, tout le monde dispose du même moteur et donc, plus ou moins du même matériel ».
Fabrizio Cecchini
Après Michael Bartholemy, nous avons pris la direction du stand Gresini pour interroger Fabrizio Cecchini, le chef mécanicien de Niccolò Antonelli.
Le choix n’est pas anodin puisqu’avec 11 kilos de lest sur sa Moto3, le jeune pilote italien est certainement celui qui souffre le plus du lestage.
« Pour moi, la Moto2 est une machine déjà très lourde et à mon sens, lester la moto va créer d’autres problèmes et principalement pour les pilotes jeunes et légers.
De plus, si on devait encore alourdir ces motos, ça créerait également du danger supplémentaire parce que lorsqu’il y a une chute, vous pouvez voir que ces motos ne s’arrêtent pas, en raison de leur poids. Elles font de gros dommages.
Les pilotes qui viennent du Moto3 sont tous de jeunes garçons, souvent petits, souvent légers et ajouter du poids sur leur machine, ce n’est pas juste parce que vous allez les empêcher de montrer leur potentiel ».
Nous savons que votre pilote est un des plus pénalisés par ce lestage…
« Ici, en Moto3, nous avons 11 kilos de lest sur la moto de Niccolò Antonelli et ça nous pénalise énormément. C’est extrêmement compliqué de réaliser un setting convenable, que ce soit sur le sec ou sur le mouillé parce que la moto l’emporte.
Nous sommes obligés de travailler avec des settings qui ne sont pas corrects pour le pilote que nous avons. On en arrive à ce que ce lestage enlève de la crédibilité au pilote !
Niccolò est petit, léger et cette surcharge l’empêche d’obtenir de grands résultats, mais ça, le public ne le voit pas. On enlève de la crédibilité au garçon alors qu’il a un handicap terrible sous la selle ».
Je suppose que c’est d’autant plus handicapant que votre moto est petite et légère.
« Avec le lest que nous devons ajouter, j’ai une Moto3 qui pèse plus ou moins le même poids qu’une vieille 250 deux temps. Ce n’est pas juste !
Notre moto est née avec un châssis pouvant supporter une moto dont le poids global ne dépasse pas 80 kilos, or, la nôtre en pèse 93. Je suis désolé mais je trouve ça injuste et j’espère sincèrement que la saison prochaine, le règlement changera. Je ne dis pas qu’il faut éliminer le lestage mais au grand minimum, il faut le contenir dans des proportions acceptables ».
Quand on voit le tintamarre qu’ont provoqué les 6 kilos de lest sur la Ducati de Checa, en championnat du monde Superbike, alors que la machine en pèse plus de 160, on comprend aisément la frustration du chef mécanicien face à une telle disproportion du lest par rapport au poids de la FTR/Honda de son pilote.
Mario Martini
Pour poursuivre, nous avons pris la température du côté de Mario Martini. Là non plus le choix n’est pas anodin.
Certains d’entre vous ne le connaissent peut-être pas mais notre homme a excellé dans de nombreux domaines et de nombreuses disciplines.
Il a d’abord commencé dans le motocross, puis dans le rallye-raid pour enfin occuper toutes les fonctions au sein d’une structure de Grand Prix.
Mécanicien pour Valentino Rossi en 96 et en 97, télémétriste pour Locatelli, Capirossi, ou bien encore Poggiali, responsable suspension pour Pasini, il a également été chef mécanicien pour Mike Di Meglio en 2003 et en 2009, pour Hector Barbera en 2004, pour Sandro Cortese en 2008 ou, plus récemment, pour Miguel Oliveira et Alberto Moncayo la saison dernière.
Son impressionnant parcours dans les deux classes fait évidemment de lui un interlocuteur de choix.
« Evidemment, en Moto2, comme ailleurs, le pilote le plus léger est avantagé mais le gros problème avec le lestage, c’est que le poids que vous ajoutez est fixe sur la moto.
Le pilote qui est plus grand et plus lourd peut bouger sur la moto et déplacer sa surcharge alors que pour le petit qu’on va lester, ce sera l’inverse. Le lest sera sur la moto et sera fixe, ce qui va créer, pour lui, un désavantage encore plus grand que s’il n’y avait pas d’obligation de poids minimal.
De plus une moto lestée est difficile à mettre au point parce qu’elle n’a pas été étudiée pour recevoir ce poids supplémentaire.
Mais c’est vrai que celui qui est plus léger est également un peu avantagé et c’est donc un sujet relativement délicat ».
N’y aurait-il pas un autre moyen de lester ?
« Je me souviens de Massimilio Sabattani, lorsqu’il roulait encore, en était arrivé à embarquer du poids sur lui et même dans le dos mais c’est extrêmement dangereux en cas de chute et je pense que c’est à proscrire fermement. Imaginez le pilote qui tombe avec 10 kilos supplémentaires sur son dos ! »
Ce désavantage lié au poids va-t-il en décroissant lorsque vous montez de catégorie.
« Tout à fait, je pense que ce désavantage concerne avant tout les petites cylindrées comme en Moto3. En Moto2, c’est vrai que Marquez est plus léger et qu’il doit en tirer un petit avantage mais il est aussi vrai qu’il va très très fort !
Mais bon, on peut tout de même imaginer réaliser une moyenne par rapport à tous les pilotes et imposé un poids minimum.
C’est une problématique vraiment compliquée et que vous choisissiez de lester ou non, il y aura toujours quelqu’un qui sera pénalisé».
Alain Chevallier
Enfin, pour terminer, nous avons demandé à Alain Chevallier ce qu’il en pensait. Alain, en tant que constructeur, avait une obsession qui était la chasse au poids superflu.
Adepte du titane avant qu’on ne l’interdise, les motos du constructeur français étaient toujours parmi les plus légères du plateau.
On comprend donc que ce lestage ne soit pas en mesure de l’enthousiasmer.
« Je ne comprends pas toujours ce besoin récurent de chercher à mettre un peu de justice égalitaire dans la compétition, alors que la compétition, par définition, démontre et hiérarchise l'inégalité entre les êtres.
La valeur d'un pilote dépend d'un ensemble de qualités dont une bonne partie est innée: sensibilité, intelligence, résistance physique et mentale. Au même titre, la taille et le poids ont des standards avantageux qui font partie de l'ensemble du personnage. Pour moi, lester un pilote plus léger, c'est du même ordre que d'imposer des cales en bois sous les bottes d'un plus petit ou lobotomiser un plus malin.
Donc, je ne suis pas pour l'élimination des différences...et puis le mec qui fait plus de deux mètres, on fait quoi pour l'aider, on lui rabote les jambes? »
Le fait que tout le monde, en Moto2, dispose du même matériel, ne doit-il pas être pris en compte dans le raisonnement ?
« Je ne vois pas le rapport....s'ils n'étaient pas obligés d'utiliser les mêmes moteurs, ça ne permettrait pas pour autant que les plus lourds puissent utiliser des plus puissants, donc en ce qui me concerne, je pense toujours que c'est une règle qui, si elle n'est retenue que pour une classe intermédiaire, avantagera des pilotes plus lourds qui ne retrouveront pas cet avantage dans la classe supérieure et risquent de ne pas pouvoir y réaliser les résultats attendus.
Si ça doit être fait, il faut le faire pour toutes les classes, MotoGP compris.
Et, dans ce cas, Il va être difficile de définir une valeur de masse et un emplacement équitable : cette masse de compensation ne pourra pas être aussi mobile que la boule de graisse du pilote plus lourd. On connaît pourtant l'impact du déplacement du pilote sur le comportement de la moto.
C'est, pour moi, un truc contreproductif, un peu comme ces lois qui sortent régulièrement dans le but d'une plus grande équité, et qui, en fait, aboutissent au résultat inverse de celui escompté.
Il y en a qui naissent plus doués, d'autres plus beaux, d'autres encore plus travailleurs et ce qui est plus grave c'est qu'il y en d'autres, peut-être plus rares, qui vont être à la fois plus beaux, plus doués, plus travailleurs et plus légers!
Le plus simple, pour ne pas risquer des règlements trop compliqués, serait peut-être de leurs interdire les courses ».
Comme on le voit la problématique de l’imposition d’un poids minimum, pilote plus machine, en Moto2, est loin de susciter des réactions unanimes.
Nous resterons, bien entendu, attentifs au résultat des négociations de la Commission des Grands Prix, à Valence et nous ne manquerons pas de vous en tenir informé.
Stay tuned !
Rejoignez-nous sur Facebook